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JOURNAL DES BEAUX-ARTS.

45

NOTICE

SUR LE CÉLÈBRE TRIPTYQUE DE

JEAN VAN EYCK,

Qui ornait autrefois l'église collégiale de
St. Martin, à Ypres, et qui fait au-
jourd'hui partie de la galerie de feu
Monsieur Van den Schriek à Louvain.

I.

Nous l'avons dit ailleurs, deux prin-
cipes dirigaient l'Ecole flamande du
XVe Siècle : l'élément intérieur, c'était
la loi religieuse; l'élément extérieur,
c'était le caractère miniaturiste. Elle
devait décliner et tomber dès le moment
où l'imprimerie vint remplacer les ma-
nuscrits , dès le moment où les idées
de la réforme vinrent altérer les croyan-
ces et le mysticisme qui se réflètent si
merveilleusement dans les productions
de nos vieux maîtres.

Quand on contemple ces hymmes
peints, ne serait-on pas tenté de voir
dans les frères Van Eyck d'autres évan-
gélistes envoyés de Dieu sur la terre
pour montrer aux hommes la beauté de
sa loi sublime, et provoquer en nous
ces élans et ces aspirations qu'ils éprou-
vaient eux mêmes.

Certes, les artistes de cette époque
n'étaient pas sous tous les rapports des
modèles dont leurs successeurs n'eus-
sent qu'à suivre les traces. Mais, disons-
le franchement; avec eux la véritable
peinture religieuse a disparu, celle qui
frappe à la fois l'esprit et le cœur : car
si l'on s'arrête avec admiration devant
une Vierge de Raphaël, on se met à
genoux devant une Vierge de Jean Van
Eyck.

II.

On sait que la plupart des tableaux
du XVe Siècle ont la forme d'un trip-
tyque cintré au milieu, c'est à dire
qu'ils se composent de trois parties :
le tableau principal sur lequel se re-
plient deux volets attachés au moyen de
charnières, de manière à former une es-
pèce d'armoire.

Ces volets sont peints de deux côtés.
La peinture qui couvre la partie inté-
rieure se relie le plus souvent par la
composition au sujet du tableau central.
Les scènes qui en ornent la face extérieu-
re s'y rapportent parfois aussi. Le plus
ordinairement elles sont exécutées en
grisaille monochrome (1) et se rapportent

(i) V. le tableau de l'église de St. Bavon à Gand,
le tableau du chanoine Vander Paele au musée de
de Bruges, et un de Hemling, également à Bru-
ges.

au sujet principal, soit par une repré-
sentation symbolique, soit par quelque
légende. Quelquefois ces scènes sont rem-
placées soit par les armoiries, soit par
l'image du donateur qui a commandé le
tableau, ou par celle de l'artiste qui a
fait de l'oeuvre une sorte d'ex-voto offert
à quelque église ou quelque autre éta-
blissement pieux. Ces images sont pres-
que toujours accompagnées d'une figure
de Saint, patron dont le donateur ou
l'artiste a porté le nom.

Il n'est pas rare de voir les maîtres
du XVe siècle représenter sur un même
panneau les scènes diverses de quelque
drame chrétien, tantôt les phases suc-
cessives de la passion du Christ, tantôt
les épisodes les plus marquants de l'his-
toire de la Vierge, tantôt encore les traits
les plus saillants de la légende d'un
martyr ou de la vie d'un apôtre ou d'un
Evangéliste. (2)

Cette manière de disposer leurs com-
positions a été portée au plus haut point
de perfection, par les frères Van Eyck.
Elle a été suivie par tous leurs élèves et
leurs contemporains, et s'est continuée
jusqu'à l'immortelRubens, qui lui-même
n'a pas dédaigné parfois de suivre ce
mode, en reproduisant sur ses toiles
les grands faits historiques du chris-
tianisme.

Observons encore que toutes les fi-
gures placées dans les œuvres des frères
Van Eyck, sont des portraits d'après
nature, et que le réalisme le plus com-
plet se manifeste dans toutes leurs
productions, bien qu'ils aient inventé
pour le Christ et pour la Vierge un type
particulier qui, depuis quatre siècles,
s'est perpétué jusqu'à nous.

Pour bien comprendre à quelle hau-
teur ces maîtres se sont élevés dans
l'art chrétien, il faut avoir fait une étu-
de spéciale de leurs œuvres, et c'est
alors seulement qu'on sent toute la su-
blimité de leurs inspirations et la pro-
fondeur avec laquelle ils ont su les tra-
duire.

(2) Pour se faire une idée de ce que nous disons
ici, on n'a qu'à voir le tableau de Van der Meire de
Gand, qui se trouve dans l'église de St. Sauveur
à Bruges. Du côté gauche de cet émisent chef-
d'œuvre, l'artiste a représenté le Christ portant
la croix et marchant au milieu de ses bourreaux;
Siméon l'aide à porter le fardeau sous lequel il
est prêt de succomber. Vers le centre de la com-
position , on voit le Sauveur attaché à la croix
entre les deux larrons, tandis que la Vierge, ac-
compagnée de Madeleine et de St. Jean, tombe
évanouie au pied de l'instrument du supplice, et
que, vers la droite on aperçoit le Christ mort,
que ses disciples descendent de la croix et dont
les saintes femmes aident à soutenir le corps.

III.

Le tableau capital dont nous voulons
entretenir nos lecteurs, est peint sur
bois de chêne. La pièce de milieu, dont
la partie supérieure est d'un mètre
soixante-quinze centimètres de hauteur,
a un mètre dix centimètres de largeur.
Chacun des deux volets, dont le haut
présente la forme d'un demi-cintre,
mesure également un mètre soixante-
quinze centimètres de haut, mais n'a
que quarante-huit centimètres de large.

Ce chef-d'œuvre, car nous ne pouvons
le qualifier autrement, représente la
Vierge debout, tenant dans ses bras
l'enfant Jésus. Elle est dans une atti-
tude pleine de grâce. Sa chevelure blon-
de et ondoyante s'épand à profusion
sur ses épaules. Elle porte sur la tète
une couronne d'or enrichie de pierres
précieuses et de perles fines. Un ample
manteau d'un bel écarlate et du style
le plus sévère la couvre et descend jus-
qu'à terre : il est liseré de broderies
d'or entremêlées de perles et de pierre-
ries. Devant elle, et du côté gauche du
spectateur, on voit un personnage age-
nouillé. C'est Nicolas Van Maelbeek,
prévôt de l'église collégiale de St. Mar-
tin d'Ypres. 11 est tête-nue et lève les
yeux vers le divin fils de Marie, que cel-
le-ci semble lui présenter : il tient de la
main droite un missel richement relié,
et de la main gauche une crosse ornée
de fleurs de lys et surmontée d'une li-
gure représentant St. Martin à cheval
qui donne un morceau de son manteau
à un pauvre (5). Il est vêtu d'une riche
chasuble de brocart bleu foncé, qui, bro-
dée d'or et de soie de différentes nuan-
ces, et garnie d'une large bordure où
sont représentés les douze apôtres, est
attachée sur la poitrine au moyen d'une
agrafe formée d'un superbe camée an-
tique.

Ce groupe se montre sous les voûtes
d'une église d'un style sévère et d'archi-
tecture ogivale dont les colonnes sont
ornées de chapiteaux merveilleusement
ciselés et à travers lesquels on aperçoit
un paysage d'une étendue immense et
du fini le plus précieux. Ce n'est à perte
de vue que villages surmontés de clo-
chers, que châteaux, que lacs et rivières,
le tout animé de figurines à regarder à
la loupe; dans le fond on aperçoit
une ville assise au-pied d'une ligne de
montagnes qui bordent l'horizon.

(3) Une remarque curieuse que nous avons
faite au sujet de ce groupe, bijou ciselé en or,
c'est qu'il nous parait avoir servi de type à Van
Dyck pour son admirable tableau représentant
le même sujet et qui orne l'Église de Saventhem
près de Bruxelles.
 
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