DESSIN D'UN
TCHOUKTCHI
LES ORIGINES POPULAIRES DE L’ART1
A Albert BESNARD
hommage cl’un ami et d'un admirateur.
J’ai entendu un jour un grand peintre exprimer ses craintes sur
l’avenir de l’art: « Nous sommes », disait-il, « des êtres de luxe et
des amuseurs. Quand la société nouvelle sera fondée, quand l’uti-
litarisme aura tout nivelé, que deviendrons-nous? Travaillant pour une
aristocratie, aristocrates nous-mêmes, puisque nous nous plaignons
sans cesse d’être incompris, nous sommes condamnés à disparaître.
Du reste, peu m’importe, car je n’y serai plus. » Ai-je besoin de dire
que ces paroles désenchantées ne tombaient pas d’une bouche jeune ?
Il est remarquable que, passé cinquante ans, on trouve en général
que tout va mal et que la société court aux abîmes. L’homme dont
les forces vitales diminuent sent le monde trembler sur sa base. Si
j’ai retenu cette doléance, c’est que la même idée revient souvent,
avec des airs moins funèbres, sous la plume d’écrivains modernes.
« Malgré certaines illusions contraires qui s’expriment volontiers en
paroles généreuses, » nous dit un délicat critique d’art 2, « il semble
bien que, dans tous les pays et dans tous les temps, à l’exception
d’époques privilégiées comme le siècle de Périclès et le xtve siècle
en France, l’art soit, par essence, aristocratique. » Dans un livre
récent, un philosophe analyse ce qu’il appelle « le mensonge de
l’art » comme une des plus puissantes et des plus illusoires créations
1. Cette notice a été lue à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dans
la séance publique du 15 novembre 1907.
2. Paul Jamot, Le Salon d’Automne [Gazelle des Beaux-Arts, janvier 1907, p. 52).
xxxvm. — 3e période. 56
TCHOUKTCHI
LES ORIGINES POPULAIRES DE L’ART1
A Albert BESNARD
hommage cl’un ami et d'un admirateur.
J’ai entendu un jour un grand peintre exprimer ses craintes sur
l’avenir de l’art: « Nous sommes », disait-il, « des êtres de luxe et
des amuseurs. Quand la société nouvelle sera fondée, quand l’uti-
litarisme aura tout nivelé, que deviendrons-nous? Travaillant pour une
aristocratie, aristocrates nous-mêmes, puisque nous nous plaignons
sans cesse d’être incompris, nous sommes condamnés à disparaître.
Du reste, peu m’importe, car je n’y serai plus. » Ai-je besoin de dire
que ces paroles désenchantées ne tombaient pas d’une bouche jeune ?
Il est remarquable que, passé cinquante ans, on trouve en général
que tout va mal et que la société court aux abîmes. L’homme dont
les forces vitales diminuent sent le monde trembler sur sa base. Si
j’ai retenu cette doléance, c’est que la même idée revient souvent,
avec des airs moins funèbres, sous la plume d’écrivains modernes.
« Malgré certaines illusions contraires qui s’expriment volontiers en
paroles généreuses, » nous dit un délicat critique d’art 2, « il semble
bien que, dans tous les pays et dans tous les temps, à l’exception
d’époques privilégiées comme le siècle de Périclès et le xtve siècle
en France, l’art soit, par essence, aristocratique. » Dans un livre
récent, un philosophe analyse ce qu’il appelle « le mensonge de
l’art » comme une des plus puissantes et des plus illusoires créations
1. Cette notice a été lue à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dans
la séance publique du 15 novembre 1907.
2. Paul Jamot, Le Salon d’Automne [Gazelle des Beaux-Arts, janvier 1907, p. 52).
xxxvm. — 3e période. 56