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La chronique des arts et de la curiosité — 1866

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Nr. 142 (22 avril)
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https://doi.org/10.11588/diglit.26565#0130
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LA CHRONIQUE DES ARTS.

l’école française. » C’est dans son genre une chose
complète qui n’existe pas ailleurs, et d’un intérêt pour
ainsi dire historique. La réaction provoquée par David
avait fait rentrer dans l’ombre, d’où ils commencent
à sortir, une foule d’artistes charmants, dédaignés à
tort pendant le règne de la peinture classique ; ce
sont ces maîtres oubliés que la galerie de M. Boittelle
remet en lumière.

En France, nous sommes à la fois très-orgueilleux
et très-modestes. Nous méprisons nos qualités pour
admirer celles d’autrui. Avec un dégoût plus bizarre
que superbe, nous faisons fi des dons que le ciel nous
a libéralement accordés; l’esprit, la grâce, la facilité,
l’agrément nous semblent peu de chose, car ces mé-
rites nous sont naturels; ils sont dans le sang même
de notre race, et constituent cette originalité que nous
nous nions parce qu’elle ne nous coûte aucune peine.
Notre prétention est le sérieux dans sa forme gour-
mée et tendue; de l’esprit, fi donc! du génie, à la
bonne heure! Que parlez-vous du joli? nous voulons
le beau. C’est fort bien, mais l’esprit et la grâce ont
bien leur charme. Ce xviue siècle, si malmené par
les pédants, n’en a pas moins produit un nouveau
style, une forme inconnue de l’art, adoptée avec en-
thousiasme de toute l’Europe, et qu’on a essayé vai-
nement de flétrir en l’appelant « rococo : » forme
originale, charmante, flexible, se prêtant à tout, d’une
invention et d’un caprice inépuisables, qui a changé
l’architecture, la statuaire, la peinture, l’ornementa-
tion, le mobilier, le costume et jusqu’au moindre
accessoire de la vie. De ces rénovations complètes de
style, il n’y en a pas beaucoup dans l’histoire du
monde : le style grec, le style gothique, le style re-
naissance , le style rococo, et c’est tout.

En se bornant à la recherche de ces petits maîtres,
M. Boittelle a donné à sa galerie un cachet tout par-
ticulier. Les tableaux qu’il a réunis ont le mérite,
outre leur agrément intrinsèque, d’une certitude
absolue; ils sont signés et datés. On n’a eu besoin,
pour les baptiser, d’aucune attribution hasardeuse ou
arbitraire ; leur conservation, en outre, est parfaite.
Pas de repeints, pas de masticage, pas de sauce en-
fumée, pas de superposition de vernis : on dirait que
les toiles viennent de quitter le chevalet.

Un morceau important et curieux de la collection
est un magnifique portrait de femme par Louis David,
avant sa conversion au style antique. Ce portrait est
celui de Mmc de Montgiraud, fille du peintre Ducreux.
Mme de Montgiraud, les cheveux poudrés, en jupe de
satin blanc et en pardessus de soie jaune, est assise
à son piano, les mains sur le clavier, la tète tournée
vers le spectateur, avec ce vague regard qui com-
mande le silence et sollicite l’attention. L’exécution de
ce beau portrait est libre, souple, spirituelle; le co-
loris a de l’harmonie et de la chaleur. On voit que la
préoccupation des statues et des bas-reliefs n’a pas
roidi les lignes et figé les tons sous le pinceau de l’ar-
tiste. Dans ce morceau il appartient encore à l’art
charmant du xviue siècle. Nous ne disons pas cela
pour diminuer en rien ce sévère novateur qui a créé
un idéal de toutes pièces, fut original en croyant co-
pier l’antiquité, et régna despotiquement sur l’art,
dont il changea la face; mais cet échantillon si pur et

si complet de sa première manière n’en offre pas
moins un intéressant sujet d’étude. Il est étrange de
voir l’austère David, qui, cette fois, a sacrifié aux
Grâces, présider incognito cette assemblée de peintres
coquets, spirituels et délicats, contre lesquels plus
tard il lança si souvent son classique anathème.

On connaît par la gravure la Visite à la nourrice,
d’Aubry ; mais ce que la gravure ne peut rendre,
c’est le charme de la couleur, l’esprit de la touche, le
caractère même de cette peinture si française et qui
porte si bien sa date. La composition est ingénieuse-
ment arrangée et fait avec bonheur ressortir par un
fond d’honnête rusticité l’élégance et la richesse des
parents qui viennent, de la ville à la campagne, visiter
le gras nourrisson dont les joues rougeaudes contras-
tent avec le teint pâle et délicat du jeune frère citadin
se haussant pour l’embrasser. Un léger sentimenta-
lisme à la Greuze attendrit cette jolie peinture. Rousseau
a parlé, et si a monsieur » avait voulu, « madame »
aurait sans doute nourri son enfant elle-même. Les
scènes de famille commencent à succéder aux scènes
de boudoir et de mythologie.

La Famille du menuisier, de Lépicié, qui porte le
même titre qu’un célèbre tableau de Rembrandt, est
une toile charmante, d’une harmonie de ton et d’une
finesse de touche remarquables. La scène se passe
dans une vieille chapelle, dont on aperçoit encore les
colonnes gothiques à travers les planches, les char-
pentes et les aménagements nécessaires. Le menui-
sier, accoudé sur son établi, a cessé de pousser son
rabot, et regarde avec admiration, lui qui peut-être
ne sait pas ses lettres, sa fille à qui la grand’mère
donne une leçon de lecture. La femme du menuisier,
jeune et jolie sous sa simple cornette, est assise près
de l’établi. Le grand-père, le dos tourné, se chauffe
devant une cheminée à vaste hotte, pareille à une
cheminée de campagne. Il y a dans ce petit tableau
un délicieux sentiment d’intimité; les fonds sont bai-
gnés de chaudes transparences qui font valoir les
figures, et la vérité n’en exclut pas la gi âce.

La collection de M. Boittelle ne compte pas moins
de sept ou huit Lépicié, tous plus jolis les uns que les
autres. Rien de plus spirituel, de plus finement touché
que ces tètes de jeunes fillettes frappées de reflets,
égratignées de lumière, et si coquettes dans leur
naïveté. Alors le but de l’art était de plaire, on évitait
la laideur, tant cherchée aujourd’hui, et si l’on fai-
sait un mensonge, il était gracieux. On se tromperait,
d’ailleurs, en croyant à la fausseté de cet art si mi-
gnon, si poupin, si joli. En regardant les peintures de
cette époque, on est surpris de la science réelle que
possèdent ces peintres réputés frivoles. Ils connais-
saient très-bien l’anatomie; ils savaient dessiner, ils
savaient peindre, ils savaient composer, et les extré-
mités ne les embarrassaient pas comme elles embar-
rassent peut-être plus d’une célébrité du jour.

Nous ne croyons pas qu’il soit possible de surpasser
Moreau dans le paysage intitulé Vue d'un parc, pour
l’élégance de la composition, l’esprit de la touche et
la fraîcheur du ton. Un large escalier de marbre, que
côtoient des rampes ornées de vases, descend vers
une eau frottée et transparente où frissonne le reflet
des grands arbres. Cela est fait de rien, mais ce rien
 
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