GAZETTE DES BEAU X-ARTS.
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qu'elle a si bien fait; mais les amis de Galiari ont droit de demander plus
encore. Lorsqu'il peignit le Jupiter foudroyant les Vices; le grand artiste
de Vérone voulut faire un plafond, et non un tableau. 11 y a merveilleusement
réussi. Il n'est pas dans cette noble peinture une figure, une attitude,
une ligne qui, sous le rapport de la perspective et des raccourcis, ne soient
conçues au point de vue d'une décoration véritable et ne doivent être étu-
diées de bas en haut, comme on regarde une voûte, comme on regarde le
ciel. Appendue à la muraille, ainsi que le serait un tableau ordinaire, la com-
position deVéronèse, si savante dans son dessin, apparaît pleine de singu-
larités et de fautes inexplicables. Elle ne peut être comprise que par ceux,
bien rares assurément, qui l'ont vue avant 1797 au Conseil des Dix, ou
par ceux qui l'ont admirée naguère à Versailles, en tenant compte des
modifications ridicules qu'elle avait subies pour prendre place dans la
chambre de Louis XIV. Mais, entrez dans la pensée du maître, faites
plafonner ses figures, et soudain les plus violents raccourcis deviennent
intelligibles, le ciel s'arrondit profond et clair, et dans le limpide éther
qui les baigne, les figures prennent la vérité, le relief des images stéréosco-
piques. Nous ne voulons pas insister davantage sur ce point. Véronèse ne
doit pas être respecté à demi. Le Jupiter est un plafond, et la direction des
Musées trouvera, quand elle le voudra, au Louvre une salle où le chef-
d'œuvre vénitien pourra être placé dans les conditions normales de sa
perspective et de son point de vue.
Il est d'ailleurs de toute évidence que c'est à cette condition seulement
que l'étude du nouveau Yéronèse du Louvre peut avoir quelque utilité. Le
Jupiter foudroyant les Vices n'est pas une distraction de plus offerte aux
regards indifférents de la foule, ce n'est pas un objet de curiosité pure;
c'est un enseignement et un exemple. On se plaint beaucoup, et non sans
raison, de ce que les exigences de la peinture monumentale soient ignorées
des artistes de la génération contemporaine; de récentes tentatives ont,
en effet, montré quel est sur ce point notre infirmité. Sachons donc,
même au prix d'un violent effort, compléter et corriger par une étude
nouvelle, la pauvre éducation que les académies nous ont faite. Profitons
des leçons éclatantes que nous apporte Paul Yéronèse et demandons-lui
les secrets du grand art que notre école a trop désappris.
PAUL MANTZ.
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qu'elle a si bien fait; mais les amis de Galiari ont droit de demander plus
encore. Lorsqu'il peignit le Jupiter foudroyant les Vices; le grand artiste
de Vérone voulut faire un plafond, et non un tableau. 11 y a merveilleusement
réussi. Il n'est pas dans cette noble peinture une figure, une attitude,
une ligne qui, sous le rapport de la perspective et des raccourcis, ne soient
conçues au point de vue d'une décoration véritable et ne doivent être étu-
diées de bas en haut, comme on regarde une voûte, comme on regarde le
ciel. Appendue à la muraille, ainsi que le serait un tableau ordinaire, la com-
position deVéronèse, si savante dans son dessin, apparaît pleine de singu-
larités et de fautes inexplicables. Elle ne peut être comprise que par ceux,
bien rares assurément, qui l'ont vue avant 1797 au Conseil des Dix, ou
par ceux qui l'ont admirée naguère à Versailles, en tenant compte des
modifications ridicules qu'elle avait subies pour prendre place dans la
chambre de Louis XIV. Mais, entrez dans la pensée du maître, faites
plafonner ses figures, et soudain les plus violents raccourcis deviennent
intelligibles, le ciel s'arrondit profond et clair, et dans le limpide éther
qui les baigne, les figures prennent la vérité, le relief des images stéréosco-
piques. Nous ne voulons pas insister davantage sur ce point. Véronèse ne
doit pas être respecté à demi. Le Jupiter est un plafond, et la direction des
Musées trouvera, quand elle le voudra, au Louvre une salle où le chef-
d'œuvre vénitien pourra être placé dans les conditions normales de sa
perspective et de son point de vue.
Il est d'ailleurs de toute évidence que c'est à cette condition seulement
que l'étude du nouveau Yéronèse du Louvre peut avoir quelque utilité. Le
Jupiter foudroyant les Vices n'est pas une distraction de plus offerte aux
regards indifférents de la foule, ce n'est pas un objet de curiosité pure;
c'est un enseignement et un exemple. On se plaint beaucoup, et non sans
raison, de ce que les exigences de la peinture monumentale soient ignorées
des artistes de la génération contemporaine; de récentes tentatives ont,
en effet, montré quel est sur ce point notre infirmité. Sachons donc,
même au prix d'un violent effort, compléter et corriger par une étude
nouvelle, la pauvre éducation que les académies nous ont faite. Profitons
des leçons éclatantes que nous apporte Paul Yéronèse et demandons-lui
les secrets du grand art que notre école a trop désappris.
PAUL MANTZ.