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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.1859

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Nr. 4
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Mouvement des arts et de la curiosité
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https://doi.org/10.11588/diglit.16987#0246

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MOUVEMENT DES ARTS ET DE LÀ CURIOSITE

VENTE LÉON BENOUVILLE

Les ventes qui se font après la mort d'un artiste de renom donnent à la salle Drouot
un aspect inaccoutumé. C'est un nouveau public qui se presse autour des tables. Les
amis, les parents, les élèves, les amateurs distingués par leur goût et leur fortune s'y
donnent rendez-vous pour se disputer les débris de l'âme de celui qu'ils ont aimé ou
admiré avant qu'ils ne s'en aillent garnir les froids cartons des collectionneurs. Il
semble que le talent transforme l'artiste en un de ces patriciens de l'ancienne Rome qui
ne s'avançaient dans le Forum que pressés par la foule de leurs clients. Les marchands
s'éloignent prudemment devant ces folles enchères de l'affection; un lien sympathique
renoue entre eux les assistants : il semble par instants que l'âme du mort plane au-
dessus de l'assemblée émue comme si elle venait lui faire un suprême adieu.

Cette vente contenait environ 40 tableaux, esquisses et études peintes à des époques
et sous les influences très-diverses de la vie. Quelques-uns n'étaient que des grisailles;
d'autres avaient été interrompus par la maladie qui emporta, à trente-huit ans,
cet esprit chercheur qui allait peut-être se révéler sous un nouveau jour.

Léon Benouville était le type le plus élevé et le plus complet des élèves de l'Académie
de Rome. Ils travaillent quinze ans dans une froide salle d'académie, ne voyant la
nature qu'à travers un modèle rompu à des mouvements convenus, qui pose sans âme,
sans intelligence. Ils ignorent et les mouvements qui traversent les foules comme l'élec-
tricité, et le grand soleil qui donne la vie aux objets inanimés, et cette poétique mo-
dernequi demande à sentir vibrer l'homme intérieur. Ils partent pour Rome où on leur
communique, pour ainsi dire, à l'oreille les secrets de cette couleur qui ferait la fortune
d'un chocolatier. Sis restent là cinq ans à étudier le squelette de l'antiquité, ils re-
viennent dessinateurs comme un académicien, coloristes comme un graveur en taille-
douce, mais érudits plus que l'abbé Barthélémy dans son Voyage du Jeune Anacharsh.
S'ils restent sages, on leur commande une chapelle, et ils cousent, dans leur vieillesse,
au collet de leur habit la palmette de l'Institut. Mais si un jour les instincts inassouvis de
leur âme se réveillent; si, un jour d'oubli, ils ont cherché dans l'histoire un de ces sujets
pathétiques qui émeuvent tous les âges parce que la nature ne fait que changer d'en-
veloppe en traversant les générations; alors il leur arrive ce qui est arrivé à Léon
Benouville, le jour où il traversa l'atelier d'Ary Scheffer. Ils sentent que c'est le
cœur qui donne à la science son dernier mot, ils comprennent le sens profond du vers
d'André Chénier :

Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques.
 
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