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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 6.1860

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Nr. 3
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Blanc, Charles: Grammaire historique des arts du dessin, [2]: Architecture, sculpture, peinture
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https://doi.org/10.11588/diglit.17222#0148

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1^2 GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

l'atmosphère terrestre, le rayon du soleil s'imprègne des sept couleurs
qu'on nomme primitives, et qui sont : le rouge, Y orangé} le jaune, le
vert, le bleu, Y indigo et le violetpuis, du mélange de ces couleurs pri-
mordiales naissent, pour le ravissement de nos yeux, toutes les nuances
imaginables. Cette fois la nature, malgré sa disgrâce, reprend la supério-
rité sur l'art. Si elle a perdu le secret des belles formes, ou si elle ne les
montre plus que dispersées, elle a du moins gardé le secret des couleurs,
aussi bien dans les ensembles que dans les fragments isolés. Chez elle,
l'harmonie des tons ne s'est jamais démentie. C'est elle qui fait naître
sous nos pas ces fleurs sans nombre qui revêtent des couleurs si déli-
cates ou si superbes, et qui, suivant la disposition de nos cœurs, nous
offrent, en s'élevant au blanc, des nuances gaies, ou en descendant au
noir, des teintes mélancoliques. Ici, éclatent l'écarlate et la pourpre
dans le coquelicot, la pivoine et la verveine, le jaune de la jonquille
et du bouton d'or, les divers blancs du lis, de la marguerite et cle la
jacinthe, et ce ton plus doux de la reine des fleurs, qui, dans la car-
nation humaine, exprime la fleur de la vie. Là, des couleurs plus modestes
et, pour ainsi dire, d'un mode mineur, répondent aux tristesses de notre
âme : le bleu tendre de la pervenche qui fut si chère à Rousseau, le bleu
obscur de la scabieuse et de la violette, et le sombre vert du lierre qui
croît sur les ruines et sur les tombeaux.

Mais les spectacles du ciel sont encore plus merveilleux, parce qu'ils
composent de vastes ensembles, de sublimes décorations dont le motif
varie éternellement, à commencer par les blancheurs de l'aube, pour finir
par le noir de la nuit. Chaque jour le soleil renouvelle l'inépuisable écrin
des diamants de l'aurore et des pierreries du couchant. Chaque jour il
change la mise en scène de sa disparition, soit qu'à l'horizon de l'Océan,
il allume des incendies que toutes les vagues de la mer n'éteindraient
point, et semble entrer pour son repos dans des palais de feu, soit qu'il
se cache tristement derrière ces fantômes de nuages qu'aucune parole ne
peut décrire, qu'aucun pinceau ne peut rendre, soit qu'il mette en mou-
vement ces sauvages concerts cle couleurs, qui, aigris par quelques dis-
sonances, ressemblent aux mouvements saccadés de la musique guerrière.

La nature est donc supérieure à l'art dans cette région inférieure qui
est le coloris. S'il ne lui arrive plus de faire un animal parfait, un cheval
sans défaut, un homme accompli, elle fait encore des chefs-d'œuvre de
couleur, et c'est elle qui décore notre univers. Il n'y a sans doute de
grands peintres que parmi les hommes ; mais la nature est restée le déco-
rateur par excellence.

CHARLES BLANC.
 
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