208 GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
a que nous faisions pour aborder, ils vinrent à notre secours, et nous
« débarquâmes enfin. »
A son retour à Anvers, il se vit accueilli par les artistes avec la même
bienveillance que par le passé. Les orfèvres l'invitèrent, lui et sa femme,
au carnaval des maîtres ; ils lui offrirent un repas exquis, pendant lequel
il lui fut fait, dit-il, « beaucoup trop d'honneur. »
Le lundi après Pâques, il se rendit à Bruges en voiture, avec Hans
Luber et maître Jean Ploos, bon peintre de cette ville qui l'hébergea. Les
artistes, les orfèvres et les négociants tinrent à lui manifester l'estime
qu'ils avaient pour son talent. Chaque jour voyait recommencer l'un de
ces festins homériques dans lesquels coulaient à grands flots les vins les
plus renommés ; et, le soir, la société tout entière le reconduisait chez lui
à la lueur des flambeaux.
A Gand, Albert Durer ne fut point reçu d'une manière moins brillante.
Le doyen des peintres, accompagné des plus distingués d'entre eux, vint
lui rendre visite, et l'accueillit « comme un grand artiste. » Ils l'accom-
pagnèrent tous ensemble pour lui montrer les merveilles de leur ville,
et, entre autres choses, le célèbre tableau de VAdoration de l'Agneau,
que les frères Yan Eyck avaient exécuté pour Philippe le Bon ; le duc de
Bourgogne s'y trouve en effet représenté à cheval, « C'est un ouvrage
admirable, dit Albert Durer, qui montre un grand «génie, particulièrement
dans les figures d'Eve, de Marie et de Dieu le père. »
Revenu à Anvers, Albert Durer souffrit d'un mal dont il avait senti les
premières atteintes en Zélande ; mais, bientôt remis, il assista à la noce de
maître Joachim Patenier, devenu son ami, qui lui en fit tous les honneurs.
Jusqu'alors Albert Durer était toujours le grand artiste que les sei-
gneurs et les riches marchands s'enorgueillissaient de recevoir. Ses notes
montrent combien il était sensible à toutes ces marques d'estime, et com-
bien il aimait ces réceptions dont il était le héros. Mais tout allait bientôt
changer. La réforme proclamée par Luther divisait l'Europe, et nul
homme ne pouvait rester indifférent à ce qui se passait. Albert Durer prit
parti pour les idées nouvelles, et lorsque le faux bruit de l'arrestation de
Luther se répandit à Anvers, il éclata en reproches contre ceux qui avaient
«trahi1, vendu l'homme pieux, éclairé par le Saint-Esprit, qui était
« parmi nous le représentant de la véritable foi chrétienne. Vit-il encore,
« ou l'ont-ils assassiné? Je ne le sais pas.
« Mais ce que je sais, c'est qu'il aura souffert pour la vérité, parce qu'il
1. Frédéric le Sage, qui l'avait fait élever, était parvenu à le faire enlever, et lui
avait donné son château de Wartbourg pour refuge.
a que nous faisions pour aborder, ils vinrent à notre secours, et nous
« débarquâmes enfin. »
A son retour à Anvers, il se vit accueilli par les artistes avec la même
bienveillance que par le passé. Les orfèvres l'invitèrent, lui et sa femme,
au carnaval des maîtres ; ils lui offrirent un repas exquis, pendant lequel
il lui fut fait, dit-il, « beaucoup trop d'honneur. »
Le lundi après Pâques, il se rendit à Bruges en voiture, avec Hans
Luber et maître Jean Ploos, bon peintre de cette ville qui l'hébergea. Les
artistes, les orfèvres et les négociants tinrent à lui manifester l'estime
qu'ils avaient pour son talent. Chaque jour voyait recommencer l'un de
ces festins homériques dans lesquels coulaient à grands flots les vins les
plus renommés ; et, le soir, la société tout entière le reconduisait chez lui
à la lueur des flambeaux.
A Gand, Albert Durer ne fut point reçu d'une manière moins brillante.
Le doyen des peintres, accompagné des plus distingués d'entre eux, vint
lui rendre visite, et l'accueillit « comme un grand artiste. » Ils l'accom-
pagnèrent tous ensemble pour lui montrer les merveilles de leur ville,
et, entre autres choses, le célèbre tableau de VAdoration de l'Agneau,
que les frères Yan Eyck avaient exécuté pour Philippe le Bon ; le duc de
Bourgogne s'y trouve en effet représenté à cheval, « C'est un ouvrage
admirable, dit Albert Durer, qui montre un grand «génie, particulièrement
dans les figures d'Eve, de Marie et de Dieu le père. »
Revenu à Anvers, Albert Durer souffrit d'un mal dont il avait senti les
premières atteintes en Zélande ; mais, bientôt remis, il assista à la noce de
maître Joachim Patenier, devenu son ami, qui lui en fit tous les honneurs.
Jusqu'alors Albert Durer était toujours le grand artiste que les sei-
gneurs et les riches marchands s'enorgueillissaient de recevoir. Ses notes
montrent combien il était sensible à toutes ces marques d'estime, et com-
bien il aimait ces réceptions dont il était le héros. Mais tout allait bientôt
changer. La réforme proclamée par Luther divisait l'Europe, et nul
homme ne pouvait rester indifférent à ce qui se passait. Albert Durer prit
parti pour les idées nouvelles, et lorsque le faux bruit de l'arrestation de
Luther se répandit à Anvers, il éclata en reproches contre ceux qui avaient
«trahi1, vendu l'homme pieux, éclairé par le Saint-Esprit, qui était
« parmi nous le représentant de la véritable foi chrétienne. Vit-il encore,
« ou l'ont-ils assassiné? Je ne le sais pas.
« Mais ce que je sais, c'est qu'il aura souffert pour la vérité, parce qu'il
1. Frédéric le Sage, qui l'avait fait élever, était parvenu à le faire enlever, et lui
avait donné son château de Wartbourg pour refuge.