336 GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
En voyant les dessins du Garavage épurés avec soin, touchés hardi-
ment sans doute, mais pourtant étudiés dans leurs moindres détails, on
se demande si l'auteur exécutait une commande, et préparait le modèle
d'une de ces magnifiques crédences que le Caradosso, Michel Agnolo di
Viviano, Benvenuto Gellini, Giovanni da Firenzuola, Piloto Piero, Lautizio
de Pérouse, s'estimaient heureux de livrer à l'admiration publique. L'affir-
mative semblerait probable, si l'on s'arrêtait à l'insigne princier introduit
dans l'un des projets ; et pourtant ce ne serait pas une preuve suffisante.
Parmi l'œuvre gravé de Polydore, combien ne trouvons-nous pas de com-
positions dédiées, soit à Corne II de Médicis, soit à Ferdinand Ier ou au
cardinal Barberini, et qui portent leurs armes, leurs devises, leurs em-
blèmes? Voici plus encore : c'est toute une série de vases gravés en 1582
pour le dernier de ces Mécènes de l'art. Quelle abondance de formes,
quelle surcharge de figures et d'ornements! Il ne faut plus chercher ici
cette pondération, cette convenance dont nous parlions tout à l'heure.
Nul orfèvre n'oserait aborder ces moulures redondantes, ces reliefs impos-
sibles, ces serpents enlacés, tordus dans les replis d'acanthes échevelées.
Non, ce ne sont pas là les modèles d'un art appréciable, et parce qui nous
en reste en dépit des siècles, et par ce qu'en ont écrit les contemporains.
Il y a, dans ces conceptions fiévreuses, satisfaction donnée au besoin de
produire, au paroxysme d'enfantement dont les époques d'exubérance
intellectuelle nous donnent seules le curieux spectacle.
Ainsi, voyez : ce Garavage, sorti des rangs des porteurs cle mortier,
artiste improvisé par la passion de l'art, ce n'est point assez pour lui
d'avoir peint les bas-reliefs du Vatican, d'avoir semé de ses clairs-obscurs
les monuments de l'Italie; il veut fournir à l'orfèvrerie ses modèles, à
l'architecture, à la décoration, leurs plus riches motifs; sous prétexte
d'imitation antique, le voilà composant cette suite gravée, en 1624, où les
casques, les boucliers, les armes cle guerre, les cuirasses s'entassent, se
groupent dans les combinaisons les plus pittoresques, et montrent une
surabondance de détails bien éloignée des habitudes grecques et romaines,
et qu'on chercherait vainement même dans les trophées si vivement enri-
chis par le burin coloriste de Piranesi.
Mais ce n'est pas tout : la panoplie moderne n'est-elle pas plus favo-
rable encore aux caprices cle l'imagination que ces armes d'un autre âge,
simples dans leur construction, bornées dans leurs éléments? La cuirasse
antique n'est qu'un vêtement plus ou moins moulé sur les formes du
corps, et dont l'ornementation ne peut s'écarter d'une disposition donnée;
le glaive, le javelot, le bouclier môme, ont leurs proportions invariables,
leur austère simplicité à laquelle on ne peut mentir. Garavage a vu pendre
En voyant les dessins du Garavage épurés avec soin, touchés hardi-
ment sans doute, mais pourtant étudiés dans leurs moindres détails, on
se demande si l'auteur exécutait une commande, et préparait le modèle
d'une de ces magnifiques crédences que le Caradosso, Michel Agnolo di
Viviano, Benvenuto Gellini, Giovanni da Firenzuola, Piloto Piero, Lautizio
de Pérouse, s'estimaient heureux de livrer à l'admiration publique. L'affir-
mative semblerait probable, si l'on s'arrêtait à l'insigne princier introduit
dans l'un des projets ; et pourtant ce ne serait pas une preuve suffisante.
Parmi l'œuvre gravé de Polydore, combien ne trouvons-nous pas de com-
positions dédiées, soit à Corne II de Médicis, soit à Ferdinand Ier ou au
cardinal Barberini, et qui portent leurs armes, leurs devises, leurs em-
blèmes? Voici plus encore : c'est toute une série de vases gravés en 1582
pour le dernier de ces Mécènes de l'art. Quelle abondance de formes,
quelle surcharge de figures et d'ornements! Il ne faut plus chercher ici
cette pondération, cette convenance dont nous parlions tout à l'heure.
Nul orfèvre n'oserait aborder ces moulures redondantes, ces reliefs impos-
sibles, ces serpents enlacés, tordus dans les replis d'acanthes échevelées.
Non, ce ne sont pas là les modèles d'un art appréciable, et parce qui nous
en reste en dépit des siècles, et par ce qu'en ont écrit les contemporains.
Il y a, dans ces conceptions fiévreuses, satisfaction donnée au besoin de
produire, au paroxysme d'enfantement dont les époques d'exubérance
intellectuelle nous donnent seules le curieux spectacle.
Ainsi, voyez : ce Garavage, sorti des rangs des porteurs cle mortier,
artiste improvisé par la passion de l'art, ce n'est point assez pour lui
d'avoir peint les bas-reliefs du Vatican, d'avoir semé de ses clairs-obscurs
les monuments de l'Italie; il veut fournir à l'orfèvrerie ses modèles, à
l'architecture, à la décoration, leurs plus riches motifs; sous prétexte
d'imitation antique, le voilà composant cette suite gravée, en 1624, où les
casques, les boucliers, les armes cle guerre, les cuirasses s'entassent, se
groupent dans les combinaisons les plus pittoresques, et montrent une
surabondance de détails bien éloignée des habitudes grecques et romaines,
et qu'on chercherait vainement même dans les trophées si vivement enri-
chis par le burin coloriste de Piranesi.
Mais ce n'est pas tout : la panoplie moderne n'est-elle pas plus favo-
rable encore aux caprices cle l'imagination que ces armes d'un autre âge,
simples dans leur construction, bornées dans leurs éléments? La cuirasse
antique n'est qu'un vêtement plus ou moins moulé sur les formes du
corps, et dont l'ornementation ne peut s'écarter d'une disposition donnée;
le glaive, le javelot, le bouclier môme, ont leurs proportions invariables,
leur austère simplicité à laquelle on ne peut mentir. Garavage a vu pendre