/,2 GAZETTE DES BEAUX-ARTS,
qu'il lui conserverait son rang et ses droits clans la société de ses sem-
blables. Les filles de Syrie apprennent à tisser leur dot. Combien de nos
demi-bourgeoises s'estimeraient heureuses de posséder au bout de leurs
doigts une dot toute faite! Combien de pères de famille s'applaudiraient
d'un pareil résultat !
Ce serait donc offrir à un grand nombre de familles de précieuses
ressources que d'étendre aux femmes le bienfait de l'enseignement gra-
tuit du dessin. Métier pour les unes, art pour les autres, pour toutes cet
enseignement serait la porte d'une carrière où leur vertu ne courrait au-
cun risque, où le salaire récompenserait le travail, où la gloire quelque-
fois couronnerait le talent. Tintoret, qui n'était pas un bourgeois, ne
permit pas à sa fille de s'écarter de la peinture du portrait, parce qu'il
jugeait l'étude du modèle vivant incompatible avec la pudeur de la
femme. Les pères de famille qu'arrête aujourd'hui un semblable scrupule,
enverraient sans crainte leurs filles dans une école où le dessin linéaire
et le dessin de l'ornement seraient enseignés au même titre que le dessin
de la figure, l'art de modeler au même titre que l'art de peindre. Ceux
qu'effraie la perspective des études coûteuses de l'atelier et des dépenses
de temps et d'argent, inhérentes à la peinture d'histoire, verraient avec
joie leur fille embrasser une profession telle que celle de graveur, dont
les frais d'établissement se réduisent à une somme minime et qui n'ap-
pelle pas la femme hors du foyer domestique. Dessins de broderies, des-
sins d'étoffe, enluminure et coloriage, gravure sur métaux ou sur pierre,
à quelque branche de l'art industriel que la femme appliquât son talent,
la rémunération, toujours suffisante pour la jeune fille, apporterait à
l'épouse et à la mère un surcroît de bien-être. Que si une vocation irré-
sistible la poussait au grand art, préparée par une bonne éducation, elle
y rencontrerait moins de déceptions et d'épreuves, et elle n'aurait, en
aucun cas, à regretter les frais de ses études premières.
L'aptitude des femmes pour les beaux-arts est un fait; leur droit à
devenir artistes ne peut être contesté; les services qu'elles rendraient
sautent aux yeux; leur intérêt se trouve ici d'accord avec la justice et la
logique; l'art lui-même ne pourrait que gagner à cette diffusion des règles
du goût. Sans parler de l'art industriel, où tant de jeunes filles de la
classe ouvrière trouveraient à vivre, il est bien évident que, dans la pein-
ture, la gravure et la sculpture, les femmes, qui aujourd'hui visent trop
haut, devenues libres de choisir, auraient bien vite fait de préférer les
genres les plus faciles et les plus familiers, et de laisser aux hommes les
plus élevés et les plus glorieux. Là se réduit la question de la con-
currence.
qu'il lui conserverait son rang et ses droits clans la société de ses sem-
blables. Les filles de Syrie apprennent à tisser leur dot. Combien de nos
demi-bourgeoises s'estimeraient heureuses de posséder au bout de leurs
doigts une dot toute faite! Combien de pères de famille s'applaudiraient
d'un pareil résultat !
Ce serait donc offrir à un grand nombre de familles de précieuses
ressources que d'étendre aux femmes le bienfait de l'enseignement gra-
tuit du dessin. Métier pour les unes, art pour les autres, pour toutes cet
enseignement serait la porte d'une carrière où leur vertu ne courrait au-
cun risque, où le salaire récompenserait le travail, où la gloire quelque-
fois couronnerait le talent. Tintoret, qui n'était pas un bourgeois, ne
permit pas à sa fille de s'écarter de la peinture du portrait, parce qu'il
jugeait l'étude du modèle vivant incompatible avec la pudeur de la
femme. Les pères de famille qu'arrête aujourd'hui un semblable scrupule,
enverraient sans crainte leurs filles dans une école où le dessin linéaire
et le dessin de l'ornement seraient enseignés au même titre que le dessin
de la figure, l'art de modeler au même titre que l'art de peindre. Ceux
qu'effraie la perspective des études coûteuses de l'atelier et des dépenses
de temps et d'argent, inhérentes à la peinture d'histoire, verraient avec
joie leur fille embrasser une profession telle que celle de graveur, dont
les frais d'établissement se réduisent à une somme minime et qui n'ap-
pelle pas la femme hors du foyer domestique. Dessins de broderies, des-
sins d'étoffe, enluminure et coloriage, gravure sur métaux ou sur pierre,
à quelque branche de l'art industriel que la femme appliquât son talent,
la rémunération, toujours suffisante pour la jeune fille, apporterait à
l'épouse et à la mère un surcroît de bien-être. Que si une vocation irré-
sistible la poussait au grand art, préparée par une bonne éducation, elle
y rencontrerait moins de déceptions et d'épreuves, et elle n'aurait, en
aucun cas, à regretter les frais de ses études premières.
L'aptitude des femmes pour les beaux-arts est un fait; leur droit à
devenir artistes ne peut être contesté; les services qu'elles rendraient
sautent aux yeux; leur intérêt se trouve ici d'accord avec la justice et la
logique; l'art lui-même ne pourrait que gagner à cette diffusion des règles
du goût. Sans parler de l'art industriel, où tant de jeunes filles de la
classe ouvrière trouveraient à vivre, il est bien évident que, dans la pein-
ture, la gravure et la sculpture, les femmes, qui aujourd'hui visent trop
haut, devenues libres de choisir, auraient bien vite fait de préférer les
genres les plus faciles et les plus familiers, et de laisser aux hommes les
plus élevés et les plus glorieux. Là se réduit la question de la con-
currence.