Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (8.1860)

LES

ILLUSTRATIONS DU TOUR DU MONDE1

Le Fiançais est le moins voyageur de tous les peuples. Il nous sou-
vient d'avoir rencontré aux cataractes du Nil une Anglaise de soixante-
dix ans qui remontait le fleuve avec son frère aîné et son mari. Peu de
jours avant, on avait vu passer une dame allemande qui conduit chaque
année son fils à Kartoûm, comme on va à Nice pour la saison d'hiver. A
Damas, le consul de France nous détourna de pousser jusqu'aux ruines
de Paimyre, et cependant une jeune miss venait de tenter cette périlleuse
excursion en compagnie de sa femme de chambre, au milieu d'une horde
de Bédouins. En Egypte et en Orient vous vous heurtez à tout instant
contre des fils de famille américains, qui énumèrent sur leurs doigts les
pays qu'il leur reste à visiter. Ils ont commencé par la Chine, ils finissent
par la Belgique. Le Français n'a pas ces ardeurs cosmopolites. Les plus
hardis vont jusqu'aux Pyrénées et sont tout étonnés d'y trouver des tou-
ristes qui leur parlent des Cordillères ou de l'Himalaya. La plupart se
contentent du Voyage autour de ma chambre.

Nous aimons le spectacle dans un fauteuil. Nous voulons aussi
voyager les pieds sur les chenets, un livre à la main. Encore faut-il que
ce livre ne soit point trop gros, ni trop savant, ni trop long, ni trop com-
plet, ni trop spécial. L'aspect seul de la bibliothèque des voyages nous
fait bâiller. A l'idée d'ouvrir un volume de ['Expédition d'Egypte^ nous
frissonnons d'effroi. Savons-nous seulement le titre de ces admirables
ouvrages publiés depuis un siècle en Angleterre qu'ont illustrés des
artistes de premier ordre? Qu'un journal à images s'avise de reproduire
quelqu'une de ces planches splendides, vieille de cinquante ans, nous
croyons à une révélation et nous regardons comme inédit un monument

I. Nouveau journal des voyages, publié sous la direction de M. Édouard Charton
et illustré par nos plus célèbres artistes. — Paris. Hachette, 1860. Tomes I <ji II.