SALON DE 180:;. Z,83
(luisent de bon blé, mais qui fatiguent le regard par une monotonie dont
aucun monticule ou aucune vallée n'accidente l'éternelle horizontalité.
Le chemin s'ouvre devant nous sans menace et sans promesse; la voie
est sûre, et, comme le pays nous est déjà connu, comme il n'y a presque
rien à voir aux stations intermédiaires, nous prenons le train express.
Le Salon abonde en mythologies. Toutes sortes de divinités s'y sont
donné rendez-vous, certaines que leur souveraineté sera toujours de ce
monde. Sans doute, Jupiter a un peu vieilli, Mars est en demi-solde;
mais, rien ne pouvant jamais prévaloir contre la grâce, "Vénus est éter-
nellement belle, et elle sourit encore à nos imaginations comme au jour
où l'antique théogonie la vit sortir de l'onde et poser son pied blanc sur
le rivage humide. Par une de ces coïncidences qui se produisent fré-
quemment clans l'histoire de l'art, plusieurs artistes se sont rencontrés
cette année pour peindre Vénus, ou du moins des divinités nues qui
pourraient être ses rivales ou ses sœurs. Dès l'ouverture du Salon, le
public a donné le prix à la Vénus de M. Gabanel. La déesse n'est pas
encore sortie de l'onde : nue et couchée sur les eaux complaisantes
dont le murmure vient de l'éveiller, ses blonds cheveux épandus autour
d'elle, le visage à demi voilé par l'ombre de son bras replié, elle
flotte, fleur vivante de la mer, et tout à l'heure elle va réjouir le monde
qui, ignorant la beauté, ne sait rien encore. Doucement bercée par la
vague amoureuse, elle aborde au rivage, et le flot qui l'apporte s'arrête
charmé.
Tel est le sujet; telle n'est pas tout à fait la peinture. En décrivant le
tableau de M. Gabanel, nous en avons éliminé un détail fâcheux : nous
n'avons pas parlé de. cette guirlande d'amours un peu vulgaires qui
voltigent dans l'azur, au-dessus de la déesse. C'est là, disons-le tout de
suite, une faute, ou du moins un excès de zèle : ces petits amours sont
inutiles; ils nuisent à la figure principale, qui est tout dans le sujet, qui
devrait être tout dans le tableau. Combien Vénus serait plus belle si,
rose et blanche sur la mer bleue, elle appelait à elle seule et retenait
longtemps sur son corps radieux le regard qui s'égare, également attiré
par deux notes lumineuses! Car la Vénus de M. Cabanel, savamment
(luisent de bon blé, mais qui fatiguent le regard par une monotonie dont
aucun monticule ou aucune vallée n'accidente l'éternelle horizontalité.
Le chemin s'ouvre devant nous sans menace et sans promesse; la voie
est sûre, et, comme le pays nous est déjà connu, comme il n'y a presque
rien à voir aux stations intermédiaires, nous prenons le train express.
Le Salon abonde en mythologies. Toutes sortes de divinités s'y sont
donné rendez-vous, certaines que leur souveraineté sera toujours de ce
monde. Sans doute, Jupiter a un peu vieilli, Mars est en demi-solde;
mais, rien ne pouvant jamais prévaloir contre la grâce, "Vénus est éter-
nellement belle, et elle sourit encore à nos imaginations comme au jour
où l'antique théogonie la vit sortir de l'onde et poser son pied blanc sur
le rivage humide. Par une de ces coïncidences qui se produisent fré-
quemment clans l'histoire de l'art, plusieurs artistes se sont rencontrés
cette année pour peindre Vénus, ou du moins des divinités nues qui
pourraient être ses rivales ou ses sœurs. Dès l'ouverture du Salon, le
public a donné le prix à la Vénus de M. Gabanel. La déesse n'est pas
encore sortie de l'onde : nue et couchée sur les eaux complaisantes
dont le murmure vient de l'éveiller, ses blonds cheveux épandus autour
d'elle, le visage à demi voilé par l'ombre de son bras replié, elle
flotte, fleur vivante de la mer, et tout à l'heure elle va réjouir le monde
qui, ignorant la beauté, ne sait rien encore. Doucement bercée par la
vague amoureuse, elle aborde au rivage, et le flot qui l'apporte s'arrête
charmé.
Tel est le sujet; telle n'est pas tout à fait la peinture. En décrivant le
tableau de M. Gabanel, nous en avons éliminé un détail fâcheux : nous
n'avons pas parlé de. cette guirlande d'amours un peu vulgaires qui
voltigent dans l'azur, au-dessus de la déesse. C'est là, disons-le tout de
suite, une faute, ou du moins un excès de zèle : ces petits amours sont
inutiles; ils nuisent à la figure principale, qui est tout dans le sujet, qui
devrait être tout dans le tableau. Combien Vénus serait plus belle si,
rose et blanche sur la mer bleue, elle appelait à elle seule et retenait
longtemps sur son corps radieux le regard qui s'égare, également attiré
par deux notes lumineuses! Car la Vénus de M. Cabanel, savamment