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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
de Léonard pour son personnage principal et, par suite, le désaccord des
critiques modernes cherchant à reconstituer une figure qui n’aurait jamais
existé1.
Cette méthode de partager l’entreprise d’une statue équestre en deux
parties distinctes, de commencer d’abord par traiter le cheval isolément,
pour lui-même, laissant de côté le cavalier qui viendra plus tard, est
d’ailleurs conforme aux habitudes des maîtres de la Renaissance, sollicités
de faire des statues de ce genre, préoccupés de l’anatomie du cheval, et
ne trouvant dans l’antiquité qu’un très petit nombre de types à consulter.
Avant d’entreprendre le Colleone, Verocchio commence par modeler à
part et termine complètement le cheval, si bien que la seigneurie de
Venise a l’idée de vouloir confier le cavalier à un autre artiste, à Vellano
de Padoue. De même le duc de Ferrare, voulant avoir sa statue équestre,
le sculpteur s’occupe d’abord de modeler le cheval séparément. De même
encore, Donatello exécute en bois le modèle d’un cheval seul et l’expose en
public. Pourquoi Léonard n’aurait-il pas procédé de la même façon? Je
sais que ma conjecture a contre elle une opinion consacrée, et c’est avec
une extrême réserve que je m’aventure sur un terrain que d’autres ont
fouillé patiemment, jusqu’au tuf. Léonard de Vinci a ses spécialistes,
comme la plupart des grands maîtres de la Renaissance; il leur appar-
tient de décider une question que je ne puis que poser ici, sans la résoudre.
Maintenant qu’y a-t-il de fondé dans le prétendu vandalisme de nos
soldats? Déjà M. le marquis Campori, en publiant la lettre du duc de
Ferrare citée plus haut, a fait justice d’une bonne partie de la légende.
Cette lettre porte la date de septembre 1501; or Louis XII ayant fait son
entrée à Milan en 1Z|99, ses soldats n’ont pu « mettre totalement en
pièces » un monument qui existait encore en 1501. Ainsi tombent du
même coup l’assertion de Vasari et les commentaires de Perkins.
Reste l’affirmation de Sabba ; il est le premier qui ait mis en circula-
tion l’historiette des arbalétriers gascons, mais sans préciser de date -, il se
pourrait donc, à la rigueur, que le fait se soit produit plus tard, après
1501, puisque l’évacuation définitive du Milanais ne date guère que de
1525. Soit dit en passant, le Castiglione ne parle pas en « témoin oculaire »,
comme on l’a prétendu; il se borne à écrire à son neveu io vi ricordo, je
vous le rappelle, dans le sens de ne l’oubliez pas - c’est une façon d’in-
sister, d’accentuer une proposition. Mais que dit son récit? que « l’igno-
rance et l’incurie de certaines gens, lesquels, faute de connaître le talent,
t. S’il en est ainsi, le dessin de la bibliothèque de Munich, si heureusement décou-
vert par M. Courajod, pourrait être un des projets pour l’achèvement ultérieur du
monument.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
de Léonard pour son personnage principal et, par suite, le désaccord des
critiques modernes cherchant à reconstituer une figure qui n’aurait jamais
existé1.
Cette méthode de partager l’entreprise d’une statue équestre en deux
parties distinctes, de commencer d’abord par traiter le cheval isolément,
pour lui-même, laissant de côté le cavalier qui viendra plus tard, est
d’ailleurs conforme aux habitudes des maîtres de la Renaissance, sollicités
de faire des statues de ce genre, préoccupés de l’anatomie du cheval, et
ne trouvant dans l’antiquité qu’un très petit nombre de types à consulter.
Avant d’entreprendre le Colleone, Verocchio commence par modeler à
part et termine complètement le cheval, si bien que la seigneurie de
Venise a l’idée de vouloir confier le cavalier à un autre artiste, à Vellano
de Padoue. De même le duc de Ferrare, voulant avoir sa statue équestre,
le sculpteur s’occupe d’abord de modeler le cheval séparément. De même
encore, Donatello exécute en bois le modèle d’un cheval seul et l’expose en
public. Pourquoi Léonard n’aurait-il pas procédé de la même façon? Je
sais que ma conjecture a contre elle une opinion consacrée, et c’est avec
une extrême réserve que je m’aventure sur un terrain que d’autres ont
fouillé patiemment, jusqu’au tuf. Léonard de Vinci a ses spécialistes,
comme la plupart des grands maîtres de la Renaissance; il leur appar-
tient de décider une question que je ne puis que poser ici, sans la résoudre.
Maintenant qu’y a-t-il de fondé dans le prétendu vandalisme de nos
soldats? Déjà M. le marquis Campori, en publiant la lettre du duc de
Ferrare citée plus haut, a fait justice d’une bonne partie de la légende.
Cette lettre porte la date de septembre 1501; or Louis XII ayant fait son
entrée à Milan en 1Z|99, ses soldats n’ont pu « mettre totalement en
pièces » un monument qui existait encore en 1501. Ainsi tombent du
même coup l’assertion de Vasari et les commentaires de Perkins.
Reste l’affirmation de Sabba ; il est le premier qui ait mis en circula-
tion l’historiette des arbalétriers gascons, mais sans préciser de date -, il se
pourrait donc, à la rigueur, que le fait se soit produit plus tard, après
1501, puisque l’évacuation définitive du Milanais ne date guère que de
1525. Soit dit en passant, le Castiglione ne parle pas en « témoin oculaire »,
comme on l’a prétendu; il se borne à écrire à son neveu io vi ricordo, je
vous le rappelle, dans le sens de ne l’oubliez pas - c’est une façon d’in-
sister, d’accentuer une proposition. Mais que dit son récit? que « l’igno-
rance et l’incurie de certaines gens, lesquels, faute de connaître le talent,
t. S’il en est ainsi, le dessin de la bibliothèque de Munich, si heureusement décou-
vert par M. Courajod, pourrait être un des projets pour l’achèvement ultérieur du
monument.