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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
ce style n’est arrivé que relativement tard en Hongrie; il s’y est si
solidement implanté qu’il est encore plein de vigueur au milieu du
xvIe siècle, et ce n’est que lentement qu’il se transforme sous la double
influence de l’Allemagne et de l’Italie. Il en résulte quelquefois de sin-
guliers mélanges. Une paire de burettes du Musée national hongrois en
offre un exemple. La forme générale de ces burettes est celle d’une buire
orientale; pied surélevé, panse peu volumineuse, long col, bec recourbé.
Le pied, octogone, est orné d’un motif trilobé, découpé à jour, absolu-
ment gothique; gothique aussi est le fleuron qui surmonte le couvercle;
hongrois est le réseau de filigrane qui enserre le col. Mais, au lieu de
faire une panse unie, l’orfèvre a voulu copier un détestable modèle alle-
mand, chef-d’œuvre de mauvais goût; il l’a couverte de grosses poires
repoussées avec le plus grand soin, et le pied n’a pas été épargné dans
cette distribution de fruits malencontreux. Ces pièces doivent dater de la
fin du xve siècle ou du commencement du xvi® siècle.
De l’orfèvrerie religieuse, le filigrane est passé dans l’orfèvrerie
civile : c’est là qu’il s’est maintenu et a brillé peut-être avec le plus
d’éclat. Mais que d’applications diverses n’a-t-il pas reçues? Partout il a
été employé et, en plein xvnc siècle, que dis-je? au xvme siècle, on en cou-
vrait encore les plats des reliures, alors qu’il y avait beau temps qu’en
Occident on avait renoncé pour les livres à ce genre de décoration. Le
Musée national hongrois exposait plusieurs spécimens de cette sorte de
travail, qui avaient vraiment fort bon air.
Nous avons mentionné les chefs, les reliquaires; n’oublions pas non
plus un meuble liturgique fort rare aujourd’hui dans les collections : nous
voulons parler du flabellum. L’éventail a disparu promptement de la
liturgie en Occident; en Orient, il s’est maintenu, et nous en voyons à
Pesth plusieurs échantillons qui sont presque modernes. Signalons aussi
une rareté archéologique : c’est le trésor de l’église de Presbourg qui le
possède. Elle consiste en une lampe formée de deux défenses d’éléphant,
réunies par des cercles d’argent et surmontées à leur extrémité d’une
figurine en ambre. Le tout est maintenu par des chaînes qui permettent
de suspendre cet ensemble bizarre. Nous avons là, à n’en pas douter,
un exemple de la singulière superstition du moyen âge à l’endroit des
cornes de licorne. On connaît toutes les fables que l’on a débitées sur
cet animal merveilleux, doué de toutes les vertus: à Strasbourg, à Saint-
Denis et en mainte autre église on conservait une corne de licorne. On
en faisait des images pieuses, des coupes qui devaient déceler la présence
du poison, des amulettes de tout genre : c’étaient tantôt des défenses de
narval, tantôt de l’ivoire. En plein xvn® siècle, on en faisait encore usage
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
ce style n’est arrivé que relativement tard en Hongrie; il s’y est si
solidement implanté qu’il est encore plein de vigueur au milieu du
xvIe siècle, et ce n’est que lentement qu’il se transforme sous la double
influence de l’Allemagne et de l’Italie. Il en résulte quelquefois de sin-
guliers mélanges. Une paire de burettes du Musée national hongrois en
offre un exemple. La forme générale de ces burettes est celle d’une buire
orientale; pied surélevé, panse peu volumineuse, long col, bec recourbé.
Le pied, octogone, est orné d’un motif trilobé, découpé à jour, absolu-
ment gothique; gothique aussi est le fleuron qui surmonte le couvercle;
hongrois est le réseau de filigrane qui enserre le col. Mais, au lieu de
faire une panse unie, l’orfèvre a voulu copier un détestable modèle alle-
mand, chef-d’œuvre de mauvais goût; il l’a couverte de grosses poires
repoussées avec le plus grand soin, et le pied n’a pas été épargné dans
cette distribution de fruits malencontreux. Ces pièces doivent dater de la
fin du xve siècle ou du commencement du xvi® siècle.
De l’orfèvrerie religieuse, le filigrane est passé dans l’orfèvrerie
civile : c’est là qu’il s’est maintenu et a brillé peut-être avec le plus
d’éclat. Mais que d’applications diverses n’a-t-il pas reçues? Partout il a
été employé et, en plein xvnc siècle, que dis-je? au xvme siècle, on en cou-
vrait encore les plats des reliures, alors qu’il y avait beau temps qu’en
Occident on avait renoncé pour les livres à ce genre de décoration. Le
Musée national hongrois exposait plusieurs spécimens de cette sorte de
travail, qui avaient vraiment fort bon air.
Nous avons mentionné les chefs, les reliquaires; n’oublions pas non
plus un meuble liturgique fort rare aujourd’hui dans les collections : nous
voulons parler du flabellum. L’éventail a disparu promptement de la
liturgie en Occident; en Orient, il s’est maintenu, et nous en voyons à
Pesth plusieurs échantillons qui sont presque modernes. Signalons aussi
une rareté archéologique : c’est le trésor de l’église de Presbourg qui le
possède. Elle consiste en une lampe formée de deux défenses d’éléphant,
réunies par des cercles d’argent et surmontées à leur extrémité d’une
figurine en ambre. Le tout est maintenu par des chaînes qui permettent
de suspendre cet ensemble bizarre. Nous avons là, à n’en pas douter,
un exemple de la singulière superstition du moyen âge à l’endroit des
cornes de licorne. On connaît toutes les fables que l’on a débitées sur
cet animal merveilleux, doué de toutes les vertus: à Strasbourg, à Saint-
Denis et en mainte autre église on conservait une corne de licorne. On
en faisait des images pieuses, des coupes qui devaient déceler la présence
du poison, des amulettes de tout genre : c’étaient tantôt des défenses de
narval, tantôt de l’ivoire. En plein xvn® siècle, on en faisait encore usage