530
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et bien des gens y croyaient. Pomet, auteur d’une Histoire des drogues,
publiée en 1692, y croyait comme les autres ; mais il ne fait pas diffi-
culté d’avouer que l’on vend pour véritables licornes de simples dé-
fenses de narval. Où la fraude va-t-elle se nicher !
En France, l’ancienne vaisselle d’or et d’argent a presque entièrement
disparu. Les pièces qui ornaient les dressoirs des princes, comme l’argen-
terie plus modeste du petit noble ou du bourgeois, ont subi bien des
vicissitudes; bref, le creuset a fait presque partout son office, et les rares
objets échappés au désastre se payent aujourd’hui, non en raison de leur
poids, mais en raison de leur valeur artistique. Dans d’autres pays, au
contraire, dans les pays du Nord en particulier, on a conservé un véri-
table culte pour l’orfèvrerie domestique : en Danemark, il n’est pas rare
de voir des paysans aisés posséder des gobelets d’orfèvrerie, soit anciens,
soit modernes, dont on se sert dans les grandes occasions. En Hongrie il
semble qu’il en ait été un peu de même.
Sans parler des trésors que peuvent montrer des familles depuis long-
temps riches et puissantes, comme la famille Esterhazv, l’exposition de
Budapest offrait une quantité véritablement prodigieuse de coupes, de
surtouts de table, de chopes, de gobelets en orfèvrerie : beaucoup d’œu-
vres allemandes dans tout cela, mais l’art national s’y trouve incontesta-
blement en majorité. On peut suivre pas à pas, dans cette réunion, les
progrès et la décadence de l’art du xve au xviii0 siècle, depuis les hanaps
à la tige délicatement tordue, à la panse godronnée, au couvercle bordé
ou surmonté de feuillages délicatement repoussés ou estampés, jusqu’à
la buire à la panse martelée ou au gobelet simplement orné de fines gra-
vures, de quelque sentence pieuse ou bachique, de noms de donateurs, de
dates anniversaires. Nous retrouvons à Pesth quelques-unes de ces pièces
colossales, dont les anciens inventaires nous ont conservé la description.
Il y a là beaucoup à apprendre pour l’archéologue ; sans doute, les objets ne
sont pas toujours du style le plus pur, quelquefois la forme en est peu
heureuse et fort tourmentée, et nous aimerions mieux avoir sous les
yeux quelque belle pièce de la renaissance française. Puisque nous
n’avons pas le choix, admirons la grande coupe en chrysoprase de la col-
lection Esterhazy : montée sur une tige noueuse, terminée par un cou-
vercle surmonté d’un bouton feuillagé, elle n’a pas moins de cinquante-
six centimètres de haut. Mentionnons encore des coupes en pierre dure,
en forme de coquilles, montées en or émaillé, telles qu’on peut en voir
plusieurs dans la galerie d’Apollon, au Louvre. Les collections Zichy et
Erdôdy nous offrent encore de beaux exemples d’aiguières du xvie siè-
cle : un pied élevé, une panse godronnée, une anse en forme de sirène,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et bien des gens y croyaient. Pomet, auteur d’une Histoire des drogues,
publiée en 1692, y croyait comme les autres ; mais il ne fait pas diffi-
culté d’avouer que l’on vend pour véritables licornes de simples dé-
fenses de narval. Où la fraude va-t-elle se nicher !
En France, l’ancienne vaisselle d’or et d’argent a presque entièrement
disparu. Les pièces qui ornaient les dressoirs des princes, comme l’argen-
terie plus modeste du petit noble ou du bourgeois, ont subi bien des
vicissitudes; bref, le creuset a fait presque partout son office, et les rares
objets échappés au désastre se payent aujourd’hui, non en raison de leur
poids, mais en raison de leur valeur artistique. Dans d’autres pays, au
contraire, dans les pays du Nord en particulier, on a conservé un véri-
table culte pour l’orfèvrerie domestique : en Danemark, il n’est pas rare
de voir des paysans aisés posséder des gobelets d’orfèvrerie, soit anciens,
soit modernes, dont on se sert dans les grandes occasions. En Hongrie il
semble qu’il en ait été un peu de même.
Sans parler des trésors que peuvent montrer des familles depuis long-
temps riches et puissantes, comme la famille Esterhazv, l’exposition de
Budapest offrait une quantité véritablement prodigieuse de coupes, de
surtouts de table, de chopes, de gobelets en orfèvrerie : beaucoup d’œu-
vres allemandes dans tout cela, mais l’art national s’y trouve incontesta-
blement en majorité. On peut suivre pas à pas, dans cette réunion, les
progrès et la décadence de l’art du xve au xviii0 siècle, depuis les hanaps
à la tige délicatement tordue, à la panse godronnée, au couvercle bordé
ou surmonté de feuillages délicatement repoussés ou estampés, jusqu’à
la buire à la panse martelée ou au gobelet simplement orné de fines gra-
vures, de quelque sentence pieuse ou bachique, de noms de donateurs, de
dates anniversaires. Nous retrouvons à Pesth quelques-unes de ces pièces
colossales, dont les anciens inventaires nous ont conservé la description.
Il y a là beaucoup à apprendre pour l’archéologue ; sans doute, les objets ne
sont pas toujours du style le plus pur, quelquefois la forme en est peu
heureuse et fort tourmentée, et nous aimerions mieux avoir sous les
yeux quelque belle pièce de la renaissance française. Puisque nous
n’avons pas le choix, admirons la grande coupe en chrysoprase de la col-
lection Esterhazy : montée sur une tige noueuse, terminée par un cou-
vercle surmonté d’un bouton feuillagé, elle n’a pas moins de cinquante-
six centimètres de haut. Mentionnons encore des coupes en pierre dure,
en forme de coquilles, montées en or émaillé, telles qu’on peut en voir
plusieurs dans la galerie d’Apollon, au Louvre. Les collections Zichy et
Erdôdy nous offrent encore de beaux exemples d’aiguières du xvie siè-
cle : un pied élevé, une panse godronnée, une anse en forme de sirène,