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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
l’œuvre se présentait escortée d’un ensemble de preuves réunies comme à plaisir
en faveur de son authenticité.
En même temps, le testament d’Anselme Adornes, daté de Bruges, le
10 février 1470, contenait cette disposition fort curieuse, qu’à chacune des deux
filles du testateur devait revenir un Saint François d’Assise de Jean Van Eyck1.
Alors que nous hésitions encore à tenir pour absolument bien rendu le vieux texte
flamand, M. L Scheibler, du Musée de Berlin, et M. A. J. Wauters, de Bruxelles,
eurent l’obligeance de nous signaler une mention de Waagen, relative à un
Saint François, de la collection de lord Heytesbury, et que le célèbre critique alle-
mand n’hésitait pas à tenir pour une création de Jean Van Eyck. En effet, l’exis-
tence de cette seconde peinture devait venir à l’appui de notre hypothèse, qu’elle
ne pouvait, toutefois, changer en certitude que par un examen comparatif des deux
peintures. La dernièree exposition des anciens maîtres de la Royal Academy nous
ayant procuré l’occasion de cette étude, il importe d’en consigner ici les résultats.
Anonymes tous les deux et semblables en ce qui concerne la composition, les
deux tableaux ne sauraient toutefois être confondus. Le tableau de Turin se déve-
loppe en largeur. Il mesure 28 centimètres sur 33. Celui de lord IJeytersbury, au
contraire, est haut de 21 centimètres et large seulement de 16. On n’y constate
toutefois l'omission d’aucun détail intervenant dans la composition du tableau de
Turin. Bien mieux, le cadre qui, dans ce dernier, vient à sa partie supérieure tou-
cher presque les ailes du crucifix, et dont la partie inférieure cache le bord de la
robe du saint, ce cadre, dans la peinture appartenant à lord IJeytersbury, laisse
visible un espace de ciel et un espace de terrain dont la présence suffit à expliquer
le renversement des proportions constaté dans ce nouvel exemplaire.
Eu y regardant de près, toutefois, il est aisé de voir qu’en réalité la différence
n’existe pas, le panneau ayant, à une époque relativement récente, été agrandi
de 2 centimètres dans le bas, de 7 centimètres dans le haut, et, latéralement,
de 2 centimètres. La largeur originelle était, en somme, de 14 centimètres, la hau-
teur de 12. Le tableau de Turin, œuvre type, se reproduit dès lors à une échelle
réduite de plus de moitié dans celui de lord Ileytersbury.
L’hésitation de M. Claude Phillips à admettre d’abord pour originale cette
seconde version du Saint François 2 ne nous surprend pas tout à fait. Le tableau
de Turin a souffert, mais celui de lord Ileytersbury a été défiguré par de maladroites
retouches. Inutile de revenir sur les ajoutés barbares au ciel et au terrain. Dans
l’intérêt de l’œuvre, il faudrait ramener le panneau à sa grandeur primitive, et rien
ne serait plus facile. Chose plus affligeante, les tètes et les extrémités des deux
personnages dont se compose le tableau, portent des traces de retouches que
l’exiguïté de l’œuvre rend doublement visibles. Un coup de pinceau a recouvert la
tonsure de saint François; le front, l'oreille, une partie de la joue, le capuchon,
sont balafrés d’une manière non moins brutale et, nous a-t-il paru, sans
nécessité bien réelle.
Quoiqu’il en soit, l’authenticité de l’œuvre ne peut faire question. Et qui donc,
si ce n’est Yan Eyck, aurait peint ce fond merveilleux où se meuvent des person-
1. Ce testament a été publié par M. Alexandre Pinchart au tome I, page 264, de ses
Archives des arts, sciences et lettres. Gand, 1860. Notre notice sur le Saint François a paru
dans le Bulletin des commissions royales d’art et d'archéologie, Bruxelles, 1883.
2. Chronique des Arts, 1886, p. 14.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
l’œuvre se présentait escortée d’un ensemble de preuves réunies comme à plaisir
en faveur de son authenticité.
En même temps, le testament d’Anselme Adornes, daté de Bruges, le
10 février 1470, contenait cette disposition fort curieuse, qu’à chacune des deux
filles du testateur devait revenir un Saint François d’Assise de Jean Van Eyck1.
Alors que nous hésitions encore à tenir pour absolument bien rendu le vieux texte
flamand, M. L Scheibler, du Musée de Berlin, et M. A. J. Wauters, de Bruxelles,
eurent l’obligeance de nous signaler une mention de Waagen, relative à un
Saint François, de la collection de lord Heytesbury, et que le célèbre critique alle-
mand n’hésitait pas à tenir pour une création de Jean Van Eyck. En effet, l’exis-
tence de cette seconde peinture devait venir à l’appui de notre hypothèse, qu’elle
ne pouvait, toutefois, changer en certitude que par un examen comparatif des deux
peintures. La dernièree exposition des anciens maîtres de la Royal Academy nous
ayant procuré l’occasion de cette étude, il importe d’en consigner ici les résultats.
Anonymes tous les deux et semblables en ce qui concerne la composition, les
deux tableaux ne sauraient toutefois être confondus. Le tableau de Turin se déve-
loppe en largeur. Il mesure 28 centimètres sur 33. Celui de lord IJeytersbury, au
contraire, est haut de 21 centimètres et large seulement de 16. On n’y constate
toutefois l'omission d’aucun détail intervenant dans la composition du tableau de
Turin. Bien mieux, le cadre qui, dans ce dernier, vient à sa partie supérieure tou-
cher presque les ailes du crucifix, et dont la partie inférieure cache le bord de la
robe du saint, ce cadre, dans la peinture appartenant à lord IJeytersbury, laisse
visible un espace de ciel et un espace de terrain dont la présence suffit à expliquer
le renversement des proportions constaté dans ce nouvel exemplaire.
Eu y regardant de près, toutefois, il est aisé de voir qu’en réalité la différence
n’existe pas, le panneau ayant, à une époque relativement récente, été agrandi
de 2 centimètres dans le bas, de 7 centimètres dans le haut, et, latéralement,
de 2 centimètres. La largeur originelle était, en somme, de 14 centimètres, la hau-
teur de 12. Le tableau de Turin, œuvre type, se reproduit dès lors à une échelle
réduite de plus de moitié dans celui de lord Ileytersbury.
L’hésitation de M. Claude Phillips à admettre d’abord pour originale cette
seconde version du Saint François 2 ne nous surprend pas tout à fait. Le tableau
de Turin a souffert, mais celui de lord Ileytersbury a été défiguré par de maladroites
retouches. Inutile de revenir sur les ajoutés barbares au ciel et au terrain. Dans
l’intérêt de l’œuvre, il faudrait ramener le panneau à sa grandeur primitive, et rien
ne serait plus facile. Chose plus affligeante, les tètes et les extrémités des deux
personnages dont se compose le tableau, portent des traces de retouches que
l’exiguïté de l’œuvre rend doublement visibles. Un coup de pinceau a recouvert la
tonsure de saint François; le front, l'oreille, une partie de la joue, le capuchon,
sont balafrés d’une manière non moins brutale et, nous a-t-il paru, sans
nécessité bien réelle.
Quoiqu’il en soit, l’authenticité de l’œuvre ne peut faire question. Et qui donc,
si ce n’est Yan Eyck, aurait peint ce fond merveilleux où se meuvent des person-
1. Ce testament a été publié par M. Alexandre Pinchart au tome I, page 264, de ses
Archives des arts, sciences et lettres. Gand, 1860. Notre notice sur le Saint François a paru
dans le Bulletin des commissions royales d’art et d'archéologie, Bruxelles, 1883.
2. Chronique des Arts, 1886, p. 14.