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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
touche une allure spéciale, un caractère qui lui est propre, un style
enfin. Ce style, il est dû à l’originalité inépuisable de ses inventions,
à la souplesse et à la largeur de son exécution, à la grâce de la
couleur qui est à la fois épanouie et discrète comme l’aimable incarnat
répandu sur les joues chastes d’une vierge. Il est facile de reconnaître
au premier coup d’œil la peinture d’un Yéronèse, d’un Rubens, d’un
Tiepolo, d’un Boucher. Chez ceux-là, elle est riche, chatoyante,
abondante et ferme; chez ceux-ci, elle est savoureuse, attendrie,
volupteuse et ambrée. Il n’est pas moins aisé de distinguer instanta-
nément les œuvres de M. Galland dont l’originalité ne permet point de
les confondre avec aucune autre. Chez lui le dessin, d’une distinction
toute florentine, enlace la couleur dans une caresse molle, d’un
rythme curieusement étudié, et de cette étreinte amoureuse se
dégagent des formes alanguies, finement nuancées, aux contours noyés,
aux vigueurs apaisées, qui vous transportent doucement dans le pays
des chimères et évoquent tout un cortège de figures délicieuses. C’est
un Olympe nouveau qui surgit, non cet Olympe aux couleurs ardentes
des maîtres italiens, non plus l’Olympe un peu débraillé de Boucher
dans lequel les déesses jettent si galamment leur bonnet par dessus
les buissons roses, mais un Olympe aimable et de mœurs pures, où
l’Amour s’exprime en un langage réservé, d’une ineffable langueur,
où les femmes n’ont que des demi-sourires d’Elvires pénétrées de
tendresse, où les héros parlent bas et sans gestes vainqueurs de
capitans tragiques. Imaginez un peintre disciple heureux de Jean
Goujon, et vous aurez une idée du charme de cette peinture captivante,
de son haut goût et de sa délicate saveur.
Les compositions qui sont purement des motifs d’ornement font
l’admiration des spécialistes, car c’est un genre particulier que celui-ci,
et tels peintres, parmi les plus illustres de nos jours, qui n’ont point
d’égaux pour dessiner une tête, seraient incapables d’agencer avec le
goût et la science requis un beau motif de décoration. On ne sait pas
assez ce qu’il faut d’esprit inventif, d’ingéniosité profonde, de savoir
et d’habileté pour imaginer cette chose qui paraît si simple et qu’on
appelle un ornement. Cette chose si simple est tout bonnement, en
art, ce qu’il y a de plus rare et de plus compliqué. Cela est tellement
vrai qu’il suffit presque, non pas seulement à la gloire d’un artiste,
mais à la renommée de tout un peuple, d’avoir trouvé un décor inédit,
une forme d’un dessin nouveau. Et quand, par hasard, on l’a trouvé,
ce décor, cette combinaison de lignes que l’imagination a revêtue de
son empreinte, on lui décerne le grand nom de style. Il devient un
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
touche une allure spéciale, un caractère qui lui est propre, un style
enfin. Ce style, il est dû à l’originalité inépuisable de ses inventions,
à la souplesse et à la largeur de son exécution, à la grâce de la
couleur qui est à la fois épanouie et discrète comme l’aimable incarnat
répandu sur les joues chastes d’une vierge. Il est facile de reconnaître
au premier coup d’œil la peinture d’un Yéronèse, d’un Rubens, d’un
Tiepolo, d’un Boucher. Chez ceux-là, elle est riche, chatoyante,
abondante et ferme; chez ceux-ci, elle est savoureuse, attendrie,
volupteuse et ambrée. Il n’est pas moins aisé de distinguer instanta-
nément les œuvres de M. Galland dont l’originalité ne permet point de
les confondre avec aucune autre. Chez lui le dessin, d’une distinction
toute florentine, enlace la couleur dans une caresse molle, d’un
rythme curieusement étudié, et de cette étreinte amoureuse se
dégagent des formes alanguies, finement nuancées, aux contours noyés,
aux vigueurs apaisées, qui vous transportent doucement dans le pays
des chimères et évoquent tout un cortège de figures délicieuses. C’est
un Olympe nouveau qui surgit, non cet Olympe aux couleurs ardentes
des maîtres italiens, non plus l’Olympe un peu débraillé de Boucher
dans lequel les déesses jettent si galamment leur bonnet par dessus
les buissons roses, mais un Olympe aimable et de mœurs pures, où
l’Amour s’exprime en un langage réservé, d’une ineffable langueur,
où les femmes n’ont que des demi-sourires d’Elvires pénétrées de
tendresse, où les héros parlent bas et sans gestes vainqueurs de
capitans tragiques. Imaginez un peintre disciple heureux de Jean
Goujon, et vous aurez une idée du charme de cette peinture captivante,
de son haut goût et de sa délicate saveur.
Les compositions qui sont purement des motifs d’ornement font
l’admiration des spécialistes, car c’est un genre particulier que celui-ci,
et tels peintres, parmi les plus illustres de nos jours, qui n’ont point
d’égaux pour dessiner une tête, seraient incapables d’agencer avec le
goût et la science requis un beau motif de décoration. On ne sait pas
assez ce qu’il faut d’esprit inventif, d’ingéniosité profonde, de savoir
et d’habileté pour imaginer cette chose qui paraît si simple et qu’on
appelle un ornement. Cette chose si simple est tout bonnement, en
art, ce qu’il y a de plus rare et de plus compliqué. Cela est tellement
vrai qu’il suffit presque, non pas seulement à la gloire d’un artiste,
mais à la renommée de tout un peuple, d’avoir trouvé un décor inédit,
une forme d’un dessin nouveau. Et quand, par hasard, on l’a trouvé,
ce décor, cette combinaison de lignes que l’imagination a revêtue de
son empreinte, on lui décerne le grand nom de style. Il devient un