114
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
comme le rêve, insaisissables comme le caprice, et vous vous aperce-
vrez que ces ornements, dont le nombre paraît infini, se réduisent, en
définitive, à quelques combinaisons de formes extrêmement limitées.
L’humanité et les siècles accumulés n’ont pas su faire davantage.
Les anciens nous ont laissé cette répétition de lignes brisées qu’on
appelle une grecque; les Orientaux ont emprunté leur inépuisable
variété de décors à la géométrie ou à la flore naturelle. Les arabesques
découvertes à Pompéi et réhabilitées par Raphaël sont aujourd’hui
encore le répertoire usuel où vont puiser nos artistes soi-disant nova-
teurs. En France, les Bérain, les Lepautre, les Audran, se sont
illustrés rien que par la noblesse et l’harmonie d’un style auquel ils
ont attaché leur nom. C’est donc que la chose est difficile. Cette sorte
d’art qu’on appelle ornemental, n’ayant guèrepour moyen d’expression
que la représentation de choses inanimées, reste toujours abstrait.
C’est un langage très vague, un peu froid, auquel rarement viennent
s’ajouter une image ou une formule nouvelles, que l’on emploie malai-
sément et qui doit s’adresser à l’esprit, à la raison, sans passer par
le cœur. De là sa concision en même temps que son obscurité.
Eh bien, M. Galland possède à fond le secret de cette langue qu’il
manie avec une extraordinaire aisance et une souplesse incomparable.
Qui n’a pas vu son exposition du Musée des arts décoratifs dont il
était question tout à l’heure, ne peut se faire une idée de la facilité
avec laquelle il improvise un décor toujours approprié à la place, à
l’objet qu’il doit revêtir. Tantôt c’est un arbuste dont la tige flexible,
d’un jet hardi, savamment mesuré, forme une colonnette ravis-
sante. Tantôt c’est une guirlande d’une fantaisie imprévue et char-
mante. Il n’est pas jusqu’à un méchant bout de papier, inégalement
aminci en bande étroite et allongée, qui ne devienne, dans les mains
de ce prestigieux artiste, un motif d'ornement original. Si notre
pays possédait un véritable ministre ou surintendant des arts,
capable de diriger le goût public et intelligemment soucieux des
besoins de l’enseignement, la première chose qu’il ferait ce serait de
s’adresser à un homme comme M. Galland, de l’accaparer à quelque
prix que ce fût, de lui confier la haute surveillance des élèves de
toutes les écoles d’art décoratif, de puiser dans ses cartons les innom-
brables croquis et études qui les remplissent, et d’en répandre à pro-
fusion les fac-similés. Peut-être alors nos industries d’art, retrempées
aux sources d’une invention féconde, reconquerraient-elles leur
prestige passé et redonneraient-elles à notre pays la richesse dont
elles furent jadis le principal élément!
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
comme le rêve, insaisissables comme le caprice, et vous vous aperce-
vrez que ces ornements, dont le nombre paraît infini, se réduisent, en
définitive, à quelques combinaisons de formes extrêmement limitées.
L’humanité et les siècles accumulés n’ont pas su faire davantage.
Les anciens nous ont laissé cette répétition de lignes brisées qu’on
appelle une grecque; les Orientaux ont emprunté leur inépuisable
variété de décors à la géométrie ou à la flore naturelle. Les arabesques
découvertes à Pompéi et réhabilitées par Raphaël sont aujourd’hui
encore le répertoire usuel où vont puiser nos artistes soi-disant nova-
teurs. En France, les Bérain, les Lepautre, les Audran, se sont
illustrés rien que par la noblesse et l’harmonie d’un style auquel ils
ont attaché leur nom. C’est donc que la chose est difficile. Cette sorte
d’art qu’on appelle ornemental, n’ayant guèrepour moyen d’expression
que la représentation de choses inanimées, reste toujours abstrait.
C’est un langage très vague, un peu froid, auquel rarement viennent
s’ajouter une image ou une formule nouvelles, que l’on emploie malai-
sément et qui doit s’adresser à l’esprit, à la raison, sans passer par
le cœur. De là sa concision en même temps que son obscurité.
Eh bien, M. Galland possède à fond le secret de cette langue qu’il
manie avec une extraordinaire aisance et une souplesse incomparable.
Qui n’a pas vu son exposition du Musée des arts décoratifs dont il
était question tout à l’heure, ne peut se faire une idée de la facilité
avec laquelle il improvise un décor toujours approprié à la place, à
l’objet qu’il doit revêtir. Tantôt c’est un arbuste dont la tige flexible,
d’un jet hardi, savamment mesuré, forme une colonnette ravis-
sante. Tantôt c’est une guirlande d’une fantaisie imprévue et char-
mante. Il n’est pas jusqu’à un méchant bout de papier, inégalement
aminci en bande étroite et allongée, qui ne devienne, dans les mains
de ce prestigieux artiste, un motif d'ornement original. Si notre
pays possédait un véritable ministre ou surintendant des arts,
capable de diriger le goût public et intelligemment soucieux des
besoins de l’enseignement, la première chose qu’il ferait ce serait de
s’adresser à un homme comme M. Galland, de l’accaparer à quelque
prix que ce fût, de lui confier la haute surveillance des élèves de
toutes les écoles d’art décoratif, de puiser dans ses cartons les innom-
brables croquis et études qui les remplissent, et d’en répandre à pro-
fusion les fac-similés. Peut-être alors nos industries d’art, retrempées
aux sources d’une invention féconde, reconquerraient-elles leur
prestige passé et redonneraient-elles à notre pays la richesse dont
elles furent jadis le principal élément!