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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
apparaissent une coupe, une salière, et derrière le roi un médaillon
d’empereur qui méritent d’occuper l’archéologue.
Le type des femmes ne diffère pas notablement de celui que nous
connaissons. C’est une apparition extrêmement gracieuse que celle
de Salomé. Complice inconsciente du crime de sa mère, son regard
autant que son attitude sollicitent l’approbation du roi.
D’une tribune, les musiciens terrifiés assistent à ce drame
digne de Shakespeare. Les instruments se taisent et c’est dans le
silence que la jeune danseuse vient d’achever son pas. Tout cela est
d’un suprême intérêt et l’on s’explique assez que depuis bientôt quatre
siècles le public ne se soit point lassé dans son admiration pour une
page si étonnamment belle et si accessible à son intelligence L
Le volet de droite nous transporte dans le milieu des places
publiques. Matsys est tout entier dans les deux figures des chauffeurs
de l’avant-plan. L’Evangéliste, jeté dans la chaudière par Tordre de
Domitien, montre une résignation qui contraste avec les faces grima-
çantes des tortionnaires.
L’empereur et ses conseillers, tous à cheval, se rangent autour
du supplicié, non loin de la porte Latine. Les gamins avides du cruel
spectacle sont montés aux arbres, comme ceux de Henry Monnier. Mais
ce qu’ils voient est bien plus extraordinaire encore. Les bourreaux se
démènent en d’impuissants efforts pour amener le liquide où plonge
l’apôtre au degré d’ébullition. Autant par l’ardeur du foyer qu’ils
attisent que par celle de leur travail, ils suent sang et eau. Leurs
faces se congestionnent : l’un pousse la langue, l’autre serre les
dents. Jamais peut-être l’effort stérile n’a été plus parfaitement
traduit. Il n’est pas jusqu’au détail de la cruche placée au premier
plan, qui ne nous avertisse qu’aucun stimulant n’a été négligé.
Effort stérile, disions-nous. En effet, ce n’est point au martyre de
saint Jean, comme on l’a cru, mais au miracle qui préserve ses jours
que nous fait assister le peintre.
Admirable par la vigueur du sentiment profondément naturaliste
dans les grandes figures du premier plan, Matsys n’est point parvenu
à rendre la perspective aérienne d’une manière satisfaisante. Les
personnages du fond semblent collés les uns aux autres, et ce défaut,
constaté d’ancienne date, provoquait, dès le xvie siècle, des paris sur
le nombre de chevaux représentés dans la composition. L’épreuve,
1. Voy., dans le numéro de janvier 1888, la reproduction que nous avons
donnée de ce volet, d’après un excellent dessin du graveur Franck.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
apparaissent une coupe, une salière, et derrière le roi un médaillon
d’empereur qui méritent d’occuper l’archéologue.
Le type des femmes ne diffère pas notablement de celui que nous
connaissons. C’est une apparition extrêmement gracieuse que celle
de Salomé. Complice inconsciente du crime de sa mère, son regard
autant que son attitude sollicitent l’approbation du roi.
D’une tribune, les musiciens terrifiés assistent à ce drame
digne de Shakespeare. Les instruments se taisent et c’est dans le
silence que la jeune danseuse vient d’achever son pas. Tout cela est
d’un suprême intérêt et l’on s’explique assez que depuis bientôt quatre
siècles le public ne se soit point lassé dans son admiration pour une
page si étonnamment belle et si accessible à son intelligence L
Le volet de droite nous transporte dans le milieu des places
publiques. Matsys est tout entier dans les deux figures des chauffeurs
de l’avant-plan. L’Evangéliste, jeté dans la chaudière par Tordre de
Domitien, montre une résignation qui contraste avec les faces grima-
çantes des tortionnaires.
L’empereur et ses conseillers, tous à cheval, se rangent autour
du supplicié, non loin de la porte Latine. Les gamins avides du cruel
spectacle sont montés aux arbres, comme ceux de Henry Monnier. Mais
ce qu’ils voient est bien plus extraordinaire encore. Les bourreaux se
démènent en d’impuissants efforts pour amener le liquide où plonge
l’apôtre au degré d’ébullition. Autant par l’ardeur du foyer qu’ils
attisent que par celle de leur travail, ils suent sang et eau. Leurs
faces se congestionnent : l’un pousse la langue, l’autre serre les
dents. Jamais peut-être l’effort stérile n’a été plus parfaitement
traduit. Il n’est pas jusqu’au détail de la cruche placée au premier
plan, qui ne nous avertisse qu’aucun stimulant n’a été négligé.
Effort stérile, disions-nous. En effet, ce n’est point au martyre de
saint Jean, comme on l’a cru, mais au miracle qui préserve ses jours
que nous fait assister le peintre.
Admirable par la vigueur du sentiment profondément naturaliste
dans les grandes figures du premier plan, Matsys n’est point parvenu
à rendre la perspective aérienne d’une manière satisfaisante. Les
personnages du fond semblent collés les uns aux autres, et ce défaut,
constaté d’ancienne date, provoquait, dès le xvie siècle, des paris sur
le nombre de chevaux représentés dans la composition. L’épreuve,
1. Voy., dans le numéro de janvier 1888, la reproduction que nous avons
donnée de ce volet, d’après un excellent dessin du graveur Franck.