LEGS D’ARMES AU MUSEE DE CLUNY.
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château, Beaumont n’avait alors pour vivre que le produit d’aquarelles
minuscules, des « Menus » à cinq francs la pièce, qu’il vendait
facilement par série de vingt. Il avait pourtant exposé dès l’âge de
vingt ans et débuté comme paysagiste ; mais le public apprit surtout
son nom aux vitrines de Susse, où il se pressait pour admirer ses
« Enfantillages » — « Nos petits hommes » — « Nos petites femmes »,
scènes de petits personnages Louis XY, poudrés, en habit zinzolin,
jouant de l’éventail en débitant des quatrains, composés par l’artiste,
qui, de tout temps, se piqua de littérature. La lithographie coloriée
a rendu ces sujets populaires; l’auteur allait bientôt se faire une
place au Charivari, où ses Scènes parisiennes, d’un dessin superficiel,
faisaient contraste avec la profonde observation de Gavarni et les
gestes amples de Daumier. Beaumont s’enhardit à peindre, exposa
régulièrement, apportant dans ce nouveau procédé le faire précieux
et mignard de ses compositions lithographiques. Il vécut alors en
bohème élégant, sympathique d’allure, soigné de sa personne, mais
plein de contrastes. Très accessible au monde, beau comme Almaviva,
toujours amoureux comme lui et attardé sous quelque balcon, il
disparaissait des années entières sans jamais quitter Paris. Régulier
malgré tout dans le travail, et se révélant à l’heure dite par la page
promise, apportée par des mains mystérieuses, pendant vingt-cinq
ans il a fait flèche de tout bois, illustrant parfois des livres et des
almanachs, alimentant des keepsakes, semant avec prodigalité des
petites compositions hâtives et d’une défaite immédiate; agrandissant
son cercle jusqu’au tableau de chevalet, et, quoique invisible à tous,
ne se laissant jamais oublier du public : de sorte qu’il comptera
comme l’un des artistes dont on aura le mieux connu l’oeuvre sans
avoir jamais vu la personne.
L’auteur des « Grivoiseries champêtres » avait assez d’esprit
pour ne point se faire d’illusions sur la portée de ses œuvres; mais
cette production facile et son placement certain lui étaient indis-
pensables étant donnés ses goûts. Fier et hautain, il a pu ne rien
demander à personne et faire deux parts de sa vie ; un labeur plus
grave et plus digne de son esprit élevé, en s’adressant à un public
d’élite, ne lui aurait peut-être pas permis d’assurer son indépendance.
Après avoir achevé, de chic, et sans passion, une « Fille cl’Ève » peu
vêtue, ou quelque soubrette appuyée sur son balais, marivaudant avec
un perroquet, l’artiste écrivait au marchand : « Ma cato est termi-
née, venez vite! » et sa vie était assurée pour tout un mois. Beaumont
allait vivre en anachorète et en bénédictin, étudier les armes, former
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château, Beaumont n’avait alors pour vivre que le produit d’aquarelles
minuscules, des « Menus » à cinq francs la pièce, qu’il vendait
facilement par série de vingt. Il avait pourtant exposé dès l’âge de
vingt ans et débuté comme paysagiste ; mais le public apprit surtout
son nom aux vitrines de Susse, où il se pressait pour admirer ses
« Enfantillages » — « Nos petits hommes » — « Nos petites femmes »,
scènes de petits personnages Louis XY, poudrés, en habit zinzolin,
jouant de l’éventail en débitant des quatrains, composés par l’artiste,
qui, de tout temps, se piqua de littérature. La lithographie coloriée
a rendu ces sujets populaires; l’auteur allait bientôt se faire une
place au Charivari, où ses Scènes parisiennes, d’un dessin superficiel,
faisaient contraste avec la profonde observation de Gavarni et les
gestes amples de Daumier. Beaumont s’enhardit à peindre, exposa
régulièrement, apportant dans ce nouveau procédé le faire précieux
et mignard de ses compositions lithographiques. Il vécut alors en
bohème élégant, sympathique d’allure, soigné de sa personne, mais
plein de contrastes. Très accessible au monde, beau comme Almaviva,
toujours amoureux comme lui et attardé sous quelque balcon, il
disparaissait des années entières sans jamais quitter Paris. Régulier
malgré tout dans le travail, et se révélant à l’heure dite par la page
promise, apportée par des mains mystérieuses, pendant vingt-cinq
ans il a fait flèche de tout bois, illustrant parfois des livres et des
almanachs, alimentant des keepsakes, semant avec prodigalité des
petites compositions hâtives et d’une défaite immédiate; agrandissant
son cercle jusqu’au tableau de chevalet, et, quoique invisible à tous,
ne se laissant jamais oublier du public : de sorte qu’il comptera
comme l’un des artistes dont on aura le mieux connu l’oeuvre sans
avoir jamais vu la personne.
L’auteur des « Grivoiseries champêtres » avait assez d’esprit
pour ne point se faire d’illusions sur la portée de ses œuvres; mais
cette production facile et son placement certain lui étaient indis-
pensables étant donnés ses goûts. Fier et hautain, il a pu ne rien
demander à personne et faire deux parts de sa vie ; un labeur plus
grave et plus digne de son esprit élevé, en s’adressant à un public
d’élite, ne lui aurait peut-être pas permis d’assurer son indépendance.
Après avoir achevé, de chic, et sans passion, une « Fille cl’Ève » peu
vêtue, ou quelque soubrette appuyée sur son balais, marivaudant avec
un perroquet, l’artiste écrivait au marchand : « Ma cato est termi-
née, venez vite! » et sa vie était assurée pour tout un mois. Beaumont
allait vivre en anachorète et en bénédictin, étudier les armes, former