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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Ici commence la période véritablement moderne, l’heure brillante
qui va donner à la comédie dessinée, à la satire graphique, les
artistes qu’elles ont si longtemps attendus. Les caricaturistes du
xixe siècle sont les contemporains absolus des grands peintres et des
grands sculpteurs qui ont été pour nous les agents de la délivrance.
Ils obéissent aux mêmes principes; ils se brouillent résolument avec
l’empyrée classique ; ils se plaisent à regarder autour d’eux les
spectacles, ridicules ou navrants, de la vie ambiante, et ils parvien-
nent à voir, non des marionnettes, mais des hommes.
Le plus ancien de ces maîtres nouveaux c’est Charlet (1792-1845).
A un an près, il a le même âge que Géricault, et il est, à bien des
égards, de la même école, surtout comme lithographe. Charlet n’est
pas un caricaturiste proprement dit, mais il a la verve comique, il
cherche le geste vrai, le type naïf, et dans ses figures d’enfants et de
soldats, il a été un dessinateur des plus expressifs. Il y avait, quand
il entra dans l’art, un bon nombre de survivants des guerres de la
République et de l’Empire ; mieux que personne, il a aimé et compris
le caractère des vieux grognards, de ces « vieux de la vieille »
dont Gautier, un jour d’hiver, a salué la défroque héroïque. Ces
soldats, auxquels s’ajoutent des conscrits candides, Charlet les montre
à la bataille, dans la vie intime ou sous la tonnelle où l’on boit en
l’honneur du drapeau ; il les silhouette toujours d'un crayon juste,
humain et véritablement historique. Dans ses rares peintures (au
musée de Lyon par exemple) il a eu souvent la notion du drame ; ses
nombreuses aquarelles sont, à mon sens, fort inégales. Charlet
n’était pas coloriste, il n’a pas toujours eu la main légère et il a
parfois des tons lourds et communs. Mais, peintre, aquarelliste ou
lithographe, il est complètement fidèle à la vérité des types, il a un
profond sentiment de la vie; avec la bonne humeur, il a la clarté
française, et l’on comprend qu’il ait été goûté et applaudi par ses
contemporains. Son succès fut rapide. Dès 1827, le salonnier Jal
l’appelait « le Molière de la caserne et du cabaret ». Cet éloge a
été confirmé et agrandi par Delacroix qui, dans la notice qu’il a
consacrée à Charlet, n’est pas loin de le classer au rang des maîtres.
Jean-Edme Pigal (1794-1872) a suivi de près Charlet dans la vie,
mais il ne l’a pas suivi dans l’art. Dès 1827, il était déjà connu et
un critique du temps nous révèle qu’il revenait alors de Rome où
il était allé dans l’ambition de changer sa manière. C’était là un
rêve honorable : il ne le réalisa pas. Il resta fidèle à ses scènes
populaires où l’esprit n’a d’ailleurs qu’une part assez médiocre.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Ici commence la période véritablement moderne, l’heure brillante
qui va donner à la comédie dessinée, à la satire graphique, les
artistes qu’elles ont si longtemps attendus. Les caricaturistes du
xixe siècle sont les contemporains absolus des grands peintres et des
grands sculpteurs qui ont été pour nous les agents de la délivrance.
Ils obéissent aux mêmes principes; ils se brouillent résolument avec
l’empyrée classique ; ils se plaisent à regarder autour d’eux les
spectacles, ridicules ou navrants, de la vie ambiante, et ils parvien-
nent à voir, non des marionnettes, mais des hommes.
Le plus ancien de ces maîtres nouveaux c’est Charlet (1792-1845).
A un an près, il a le même âge que Géricault, et il est, à bien des
égards, de la même école, surtout comme lithographe. Charlet n’est
pas un caricaturiste proprement dit, mais il a la verve comique, il
cherche le geste vrai, le type naïf, et dans ses figures d’enfants et de
soldats, il a été un dessinateur des plus expressifs. Il y avait, quand
il entra dans l’art, un bon nombre de survivants des guerres de la
République et de l’Empire ; mieux que personne, il a aimé et compris
le caractère des vieux grognards, de ces « vieux de la vieille »
dont Gautier, un jour d’hiver, a salué la défroque héroïque. Ces
soldats, auxquels s’ajoutent des conscrits candides, Charlet les montre
à la bataille, dans la vie intime ou sous la tonnelle où l’on boit en
l’honneur du drapeau ; il les silhouette toujours d'un crayon juste,
humain et véritablement historique. Dans ses rares peintures (au
musée de Lyon par exemple) il a eu souvent la notion du drame ; ses
nombreuses aquarelles sont, à mon sens, fort inégales. Charlet
n’était pas coloriste, il n’a pas toujours eu la main légère et il a
parfois des tons lourds et communs. Mais, peintre, aquarelliste ou
lithographe, il est complètement fidèle à la vérité des types, il a un
profond sentiment de la vie; avec la bonne humeur, il a la clarté
française, et l’on comprend qu’il ait été goûté et applaudi par ses
contemporains. Son succès fut rapide. Dès 1827, le salonnier Jal
l’appelait « le Molière de la caserne et du cabaret ». Cet éloge a
été confirmé et agrandi par Delacroix qui, dans la notice qu’il a
consacrée à Charlet, n’est pas loin de le classer au rang des maîtres.
Jean-Edme Pigal (1794-1872) a suivi de près Charlet dans la vie,
mais il ne l’a pas suivi dans l’art. Dès 1827, il était déjà connu et
un critique du temps nous révèle qu’il revenait alors de Rome où
il était allé dans l’ambition de changer sa manière. C’était là un
rêve honorable : il ne le réalisa pas. Il resta fidèle à ses scènes
populaires où l’esprit n’a d’ailleurs qu’une part assez médiocre.