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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Après cette débauche de trivialités, l’art avait droit à une conso-
lation. Elle lui vint de ceux-là seuls qui pouvaient la lui donner,
je veux dire les maîtres qui ont, avec le sentiment humain, la saine
notion de la forme vivante. Decamps fut hune de plus brillantes
recrues de la caricature. Assurément, il n’était pas de ces organisa-
tions joyeuses qui rient à travers tout comme le Gubetta du drame
romantique, mais il avait entre les mains un crayon très convaincu
et son esprit sérieux valait au moins celui des farceurs applaudis.
Decamps avait pris en grippe le pauvre roi Charles X et c’est lui qu’il
a mis en scène dans ses comédies lithographiques. Le Pieu monarque
est une très amusante image et c'est aussi une plaisanterie pleine de
saveur que celle où le vieux roi en robe de chambre est représenté
tirant des coups de fusil sur un lapin de carton. Ces planches sont bien
connues, elles ont la décision et la couleur, et elles ne déparent pas
l’œuvre du maitre, qui se hâta du reste de revenir le plus tôt possible
à ses paysages orientaux.
Bientôt ce fut Raffet qui vint à la rescousse. Certes le grand
crayonneur ne saurait être regardé comme un pur caricaturiste. On
s’étonnera même qu’un pareil titre puisse être donné au poète de la
Revue nocturne, au touriste passionné qui s’est montré si respectueux
des types exotiques dans ses belles lithographies du Voyage en Crimée,
à l’historien pittoresque et sévère qui a immortalisé le souvenir de
nos campagnes africaines et de notre expédition de Rome. Parmi nos
peintres militaires, Raffet est celui qui a le mieux compris le soldat
moderne, car, où Horace Vernet n’a jamais vu que de la prose, il a
exalté la note héroïque. La fameuse planche Prêts à partir pour la
ville éternelle est un des plus fiers monuments de l’art de ce siècle.
Mais le poète avait été jeune, et comme les artistes de sa génération,
il s’était permis de sourire et il a fait, pour les éditeurs en vogue,
des scènes familières où la comédie tient sa place. Ces images, d’une
lithographie délicate et savante, sont inventoriées dans le Raffet de
M. Giacomelli et il n’y a rien à ajouter à ce qui a été dit dans ce
livre excellent. De 1831 à 1833, Raffet fut associé à la Caricature
qui était alors le rendez-vous de tous les satiriques, et il eut même
en certaines œuvres la modestie de mêler son crayon à celui de
Grandville. Mais toute création d’art met en évidence le caractère de
celui qui l’invente. Raffet introduit volontiers dans ses ironies un
élément sérieux et même patibulaire. Les données habituelles de la
caricature sont hardiment élargies et dépassées dans la planche qui
porte pour légende les mots : Patriotes de tous pays, prenez garde à
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Après cette débauche de trivialités, l’art avait droit à une conso-
lation. Elle lui vint de ceux-là seuls qui pouvaient la lui donner,
je veux dire les maîtres qui ont, avec le sentiment humain, la saine
notion de la forme vivante. Decamps fut hune de plus brillantes
recrues de la caricature. Assurément, il n’était pas de ces organisa-
tions joyeuses qui rient à travers tout comme le Gubetta du drame
romantique, mais il avait entre les mains un crayon très convaincu
et son esprit sérieux valait au moins celui des farceurs applaudis.
Decamps avait pris en grippe le pauvre roi Charles X et c’est lui qu’il
a mis en scène dans ses comédies lithographiques. Le Pieu monarque
est une très amusante image et c'est aussi une plaisanterie pleine de
saveur que celle où le vieux roi en robe de chambre est représenté
tirant des coups de fusil sur un lapin de carton. Ces planches sont bien
connues, elles ont la décision et la couleur, et elles ne déparent pas
l’œuvre du maitre, qui se hâta du reste de revenir le plus tôt possible
à ses paysages orientaux.
Bientôt ce fut Raffet qui vint à la rescousse. Certes le grand
crayonneur ne saurait être regardé comme un pur caricaturiste. On
s’étonnera même qu’un pareil titre puisse être donné au poète de la
Revue nocturne, au touriste passionné qui s’est montré si respectueux
des types exotiques dans ses belles lithographies du Voyage en Crimée,
à l’historien pittoresque et sévère qui a immortalisé le souvenir de
nos campagnes africaines et de notre expédition de Rome. Parmi nos
peintres militaires, Raffet est celui qui a le mieux compris le soldat
moderne, car, où Horace Vernet n’a jamais vu que de la prose, il a
exalté la note héroïque. La fameuse planche Prêts à partir pour la
ville éternelle est un des plus fiers monuments de l’art de ce siècle.
Mais le poète avait été jeune, et comme les artistes de sa génération,
il s’était permis de sourire et il a fait, pour les éditeurs en vogue,
des scènes familières où la comédie tient sa place. Ces images, d’une
lithographie délicate et savante, sont inventoriées dans le Raffet de
M. Giacomelli et il n’y a rien à ajouter à ce qui a été dit dans ce
livre excellent. De 1831 à 1833, Raffet fut associé à la Caricature
qui était alors le rendez-vous de tous les satiriques, et il eut même
en certaines œuvres la modestie de mêler son crayon à celui de
Grandville. Mais toute création d’art met en évidence le caractère de
celui qui l’invente. Raffet introduit volontiers dans ses ironies un
élément sérieux et même patibulaire. Les données habituelles de la
caricature sont hardiment élargies et dépassées dans la planche qui
porte pour légende les mots : Patriotes de tous pays, prenez garde à