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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
raisonné de MM. Mahérault et Boeder (1873), enfin le Gavarni de
M. Eugène Forgues (1887). Sainte-Beuve lui a consacré une étude
dans ses Nouveaux lundis et il a commenté surtout le Gavarni
littéraire et moraliste. Hier encore, l’auteur des Graveurs du xixc siècle,
M. Henri Béraldi, écrivait dans son septième volume, une notice où
les informations exactes sont prodiguées en même temps que les
jugements les plus sûrs. A ce qui a été dit par de tels historiens et
de tels juges, nous n’ajouterons qu’un mot, un mot à l’adresse des
générations nouvelles qui, trouvant aujourd’hui leur idéal dans
Grévin, seraient peut-être tentées de considérer Gavarni comme le
représentant d’un art abrogé et presque archaïque. Nous voyons
reparaître ici la loi cruelle qui, depuis quarante ans, nous a bien des
fois attristé. Dans toute oeuvre d’art, il y a, à côté de ce qui demeure,
un parfum subtil qui s’évapore au bout de quelques années et qui
échappe aux nouveaux venus, impuissants à rendre leur éclat aux
fleurs flétries et à faire revivre le passé. Chose horrible à dire !
Willette lui-même vieillira! Le modernisme d’hier ou de ce matin
prend bien vite l’apparence des feuilles sèches que l’histoire conserve
dans son herbier rétrospectif. Et cette précoce défloraison doit venir
surtout à ceux qui ont peint les modes de leur temps.
Or, Gavarni n’a pas été seulement un peintre de moeurs, ce qui le
rend éternel comme Metsu ou Ter Borgh, il a été, dans une large
mesure, un costumier, l’homme que le tailleur Humann considérait
comme son rival dans l’art d’ajuster et de faire valoir un habit,
l’inventeur des travestissements qui étaient la joie du théâtre et des
bals masqués, l’historiographe impeccable qui, ayant beaucoup suivi
les femmes, a su mieux que pas un le ballonnement de la jupe, les
séductions d’une jambe fine, la coquetterie d’une coiffure à la mode
du quart d’heure. Il se peut que les derniers venus dans la vie
regardent les lithographies et les aquarelles de Gavarni comme les
pâles images d’un monde disparu. Pour nous, il s’agit de tout autre
chose. Les Fourberies de femmes en matière de sentiment, les Lorettes,
les étudiants et les étudiantes, c’est notre jeunesse elle-même et
notre âme en sa première manière. Parmi les témoins de cet âge
évanoui, nul ne me démentira. Gavarni a été la vérité absolue, il a
donné la note historique, aussi bien pour la toilette que pour la
démarche, le geste, le caractère des visages. Dans la sphère des
élégances mondaines et des amours d’aventure, dans les légendes
qu’il met au bas de ses dessins, il marche avec le grand observateur
Balzac et quelquefois il le remplace. Et quelle invention toujours
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
raisonné de MM. Mahérault et Boeder (1873), enfin le Gavarni de
M. Eugène Forgues (1887). Sainte-Beuve lui a consacré une étude
dans ses Nouveaux lundis et il a commenté surtout le Gavarni
littéraire et moraliste. Hier encore, l’auteur des Graveurs du xixc siècle,
M. Henri Béraldi, écrivait dans son septième volume, une notice où
les informations exactes sont prodiguées en même temps que les
jugements les plus sûrs. A ce qui a été dit par de tels historiens et
de tels juges, nous n’ajouterons qu’un mot, un mot à l’adresse des
générations nouvelles qui, trouvant aujourd’hui leur idéal dans
Grévin, seraient peut-être tentées de considérer Gavarni comme le
représentant d’un art abrogé et presque archaïque. Nous voyons
reparaître ici la loi cruelle qui, depuis quarante ans, nous a bien des
fois attristé. Dans toute oeuvre d’art, il y a, à côté de ce qui demeure,
un parfum subtil qui s’évapore au bout de quelques années et qui
échappe aux nouveaux venus, impuissants à rendre leur éclat aux
fleurs flétries et à faire revivre le passé. Chose horrible à dire !
Willette lui-même vieillira! Le modernisme d’hier ou de ce matin
prend bien vite l’apparence des feuilles sèches que l’histoire conserve
dans son herbier rétrospectif. Et cette précoce défloraison doit venir
surtout à ceux qui ont peint les modes de leur temps.
Or, Gavarni n’a pas été seulement un peintre de moeurs, ce qui le
rend éternel comme Metsu ou Ter Borgh, il a été, dans une large
mesure, un costumier, l’homme que le tailleur Humann considérait
comme son rival dans l’art d’ajuster et de faire valoir un habit,
l’inventeur des travestissements qui étaient la joie du théâtre et des
bals masqués, l’historiographe impeccable qui, ayant beaucoup suivi
les femmes, a su mieux que pas un le ballonnement de la jupe, les
séductions d’une jambe fine, la coquetterie d’une coiffure à la mode
du quart d’heure. Il se peut que les derniers venus dans la vie
regardent les lithographies et les aquarelles de Gavarni comme les
pâles images d’un monde disparu. Pour nous, il s’agit de tout autre
chose. Les Fourberies de femmes en matière de sentiment, les Lorettes,
les étudiants et les étudiantes, c’est notre jeunesse elle-même et
notre âme en sa première manière. Parmi les témoins de cet âge
évanoui, nul ne me démentira. Gavarni a été la vérité absolue, il a
donné la note historique, aussi bien pour la toilette que pour la
démarche, le geste, le caractère des visages. Dans la sphère des
élégances mondaines et des amours d’aventure, dans les légendes
qu’il met au bas de ses dessins, il marche avec le grand observateur
Balzac et quelquefois il le remplace. Et quelle invention toujours