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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Ces lettres, — nous en possédons trois, une de 1613 et deux de
1617, — intéressantes par leur naïveté, nous fournissent des infor-
mations précieuses sur les mœurs de ce temps et sur la famille de
l’artiste. De Rotterdam où il est encore, le maître d’école envoie à son
fils des recommandations de sagesse et d’économie. Il désirerait ne pas
abréger la durée de son apprentissage ; mais les sacrifices faits par
lui sont assez lourds, et il y a des moments où l’école ne rapporte
guère. Le bonhomme voudrait donc qu’à côté du temps employé par
le jeune artiste à son instruction et de celui qu’il doit à son maître,
il trouvât encore le loisir de s’occuper de quelques travaux lucratifs.
Il lui en parle à mots couverts, comme s’il craignait d’éveiller sur ce
point la défiance de Matham. Lui-même, d’ailleurs, cherche à gagner
quelque argent à Harlem, où il est en relations avec un certain Guil-
lam, maître d’école à Harlem, probablement le père du célèbre Cop-
penol, l’ami de Rembrandt. Il lui adresse, par l’entremise de son fils,
un album de pièces calligraphiques, contenant environ 100 feuilles,
et dont il voudrait obtenir 100 florins, car il estime que ce prix de
1 florin par feuille est bien modique. Avec les nouvelles et les bons
souvenirs de sa famille, il envoie de temps à autre au pensionnaire
de Matham quelque argent, des souliers neufs qu’il doit réclamer au
batelier, ou une paire de manches neuves confectionnées par sa mère,
qui pour adoucir la vie de l’exilé lui fait parvenir « quatre florins et
un sou », en attendant sa visite. Les petits travaux du débutant sont
placés par son père, à des conditions peu avantageuses, il est vrai,
« mais il faut bien sacrifier quelque chose pour être connu, et plus
tard il gagnera davantage... Qu’il continue à faire de son mieux
pour se perfectionner, cherchant à progresser plutôt qu’à gagner
tout de suite, sans négliger pourtant les petits bénéfices qui peuvent
se présenter à lui ». Puis, après être revenu à ses conseils d’éco-
nomie, car « il a beaucoup de frais et le métier va mal », le bon père
insiste sur la nécessité d’avancer dans ses études, de manière à graver
ses propres compositions, puisque « il vaut mieux inventer que copier
les autres », et il termine en lui recommandant « de craindre le
Seigneur et de rester vertueux; avec cela, il sera heureux, bien vu
de Dieu et des gens vertueux ».
Ces sages conseils étaient docilement suivis, et celui à qui ils
s’adressaient devait pendant toute sa vie conserver les habitudes
d’ordre et de travail qu’il avait contractées dans sa jeunesse. Jan
van de Velde, en effet, a beaucoup produit, et l’œuvre laissé par lui
est considérable; mais, outre les nombreuses planches qu’il a gravées,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Ces lettres, — nous en possédons trois, une de 1613 et deux de
1617, — intéressantes par leur naïveté, nous fournissent des infor-
mations précieuses sur les mœurs de ce temps et sur la famille de
l’artiste. De Rotterdam où il est encore, le maître d’école envoie à son
fils des recommandations de sagesse et d’économie. Il désirerait ne pas
abréger la durée de son apprentissage ; mais les sacrifices faits par
lui sont assez lourds, et il y a des moments où l’école ne rapporte
guère. Le bonhomme voudrait donc qu’à côté du temps employé par
le jeune artiste à son instruction et de celui qu’il doit à son maître,
il trouvât encore le loisir de s’occuper de quelques travaux lucratifs.
Il lui en parle à mots couverts, comme s’il craignait d’éveiller sur ce
point la défiance de Matham. Lui-même, d’ailleurs, cherche à gagner
quelque argent à Harlem, où il est en relations avec un certain Guil-
lam, maître d’école à Harlem, probablement le père du célèbre Cop-
penol, l’ami de Rembrandt. Il lui adresse, par l’entremise de son fils,
un album de pièces calligraphiques, contenant environ 100 feuilles,
et dont il voudrait obtenir 100 florins, car il estime que ce prix de
1 florin par feuille est bien modique. Avec les nouvelles et les bons
souvenirs de sa famille, il envoie de temps à autre au pensionnaire
de Matham quelque argent, des souliers neufs qu’il doit réclamer au
batelier, ou une paire de manches neuves confectionnées par sa mère,
qui pour adoucir la vie de l’exilé lui fait parvenir « quatre florins et
un sou », en attendant sa visite. Les petits travaux du débutant sont
placés par son père, à des conditions peu avantageuses, il est vrai,
« mais il faut bien sacrifier quelque chose pour être connu, et plus
tard il gagnera davantage... Qu’il continue à faire de son mieux
pour se perfectionner, cherchant à progresser plutôt qu’à gagner
tout de suite, sans négliger pourtant les petits bénéfices qui peuvent
se présenter à lui ». Puis, après être revenu à ses conseils d’éco-
nomie, car « il a beaucoup de frais et le métier va mal », le bon père
insiste sur la nécessité d’avancer dans ses études, de manière à graver
ses propres compositions, puisque « il vaut mieux inventer que copier
les autres », et il termine en lui recommandant « de craindre le
Seigneur et de rester vertueux; avec cela, il sera heureux, bien vu
de Dieu et des gens vertueux ».
Ces sages conseils étaient docilement suivis, et celui à qui ils
s’adressaient devait pendant toute sa vie conserver les habitudes
d’ordre et de travail qu’il avait contractées dans sa jeunesse. Jan
van de Velde, en effet, a beaucoup produit, et l’œuvre laissé par lui
est considérable; mais, outre les nombreuses planches qu’il a gravées,