GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
14
individuelle. La tête seule de Mme Jane IJading est sérieusement étu-
diée ; les bras ne sont ni modelés ni éclairés ; la robe est d’une
négligence qui n’a pas d’excuse en l’espèce : il s’agit d’une femme
élégante chez qui la parure sert encore à exprimer la personnalité.
Le seul portrait de M. Yves Guyot est digne du grand talent de
M. Roll, qui nous doit une revanche.
On sait que beaucoup d’étrangers ont accepté l’hospitalité que
leur offraient libéralement les organisateurs du Champ de Mars,
déjà liés à eux par les souvenirs de l’Exposition. La plupart de ceux
qui ont suivi M. Meissonier sont des peintres venus des pays du
Nord où l’impressionnisme a, depuis quelque temps déjà, conquis
toute la place. Il en est peu qui conservent, dans la pratique du sys-
tème, cette modération et ce juste sentiment des nuances que nous
définissions plus haut : la mesure est une qualité bien française, et
nous souhaitons qu’on ne l’oublie point chez nous. Trois d’entre eux
pourtant, Suédois ou Norvégiens, peuvent prendre leur part de cet
éloge. Ce sont MM. Skredsvig, Edelfelt et Thaulow. Le premier avait
été fort apprécié, il y a un an, pour la sincérité et la décision de sa
manière. On lui avait conseillé de visiter les contrées du Midi où
l’on prévoyait que son talent trouverait une expansion plus complète
encore ; il est allé en Corse, d’où il a rapporté une vue de la Villa
Baciocchi que je considère comme le meilleur de ses ouvrages. Il faut
examiner ce tableau de près, le nez sur la toile, pour juger combien
la facture, si large et libre qu’elle paraisse, y demeure sûre, nette,
précise : pas une hésitation, pas un empâtement, pas un raccord;
chaque brin d’aloès, chaque branche d’arbre, chaque motte de terre
vaut juste un coup de pinceau, sans reprise ni rature. Combien de
peintres sont aujourd’hui aussi maîtres de leur vue et de leur main?
Les paysages de M. Edelfelt sont plus enveloppés et d’une écri-
ture moins résolue ; ils ont un charme plus sympathique et plus ten-
dre. Le Coucher de soleil qui mire ses derniers rayons dans l’eau
dormeuse d’un fiord de Finlande, laisse dans les yeux et dans l’àme
une impression de douceur délicieuse. L’artiste hausse le ton dans
ses portraits dont le meilleur est celui de l’enfant vêtu de noir, très
propre à donner l’idée de sa manière.
Enfin, nous avons trop peu d’occasions d’admirer dans une œuvre
d'art les délicatesses, l’ingénuité, la candeur qui éclatent dans les
paysages norvégiens de M. Thaulow. La profondeur légère du ciel à
peine bleu, l’insaisissable transparence de la neige teintée, en sa
pâleur vivante, par une clarté boréale plus subtile que les premiers
14
individuelle. La tête seule de Mme Jane IJading est sérieusement étu-
diée ; les bras ne sont ni modelés ni éclairés ; la robe est d’une
négligence qui n’a pas d’excuse en l’espèce : il s’agit d’une femme
élégante chez qui la parure sert encore à exprimer la personnalité.
Le seul portrait de M. Yves Guyot est digne du grand talent de
M. Roll, qui nous doit une revanche.
On sait que beaucoup d’étrangers ont accepté l’hospitalité que
leur offraient libéralement les organisateurs du Champ de Mars,
déjà liés à eux par les souvenirs de l’Exposition. La plupart de ceux
qui ont suivi M. Meissonier sont des peintres venus des pays du
Nord où l’impressionnisme a, depuis quelque temps déjà, conquis
toute la place. Il en est peu qui conservent, dans la pratique du sys-
tème, cette modération et ce juste sentiment des nuances que nous
définissions plus haut : la mesure est une qualité bien française, et
nous souhaitons qu’on ne l’oublie point chez nous. Trois d’entre eux
pourtant, Suédois ou Norvégiens, peuvent prendre leur part de cet
éloge. Ce sont MM. Skredsvig, Edelfelt et Thaulow. Le premier avait
été fort apprécié, il y a un an, pour la sincérité et la décision de sa
manière. On lui avait conseillé de visiter les contrées du Midi où
l’on prévoyait que son talent trouverait une expansion plus complète
encore ; il est allé en Corse, d’où il a rapporté une vue de la Villa
Baciocchi que je considère comme le meilleur de ses ouvrages. Il faut
examiner ce tableau de près, le nez sur la toile, pour juger combien
la facture, si large et libre qu’elle paraisse, y demeure sûre, nette,
précise : pas une hésitation, pas un empâtement, pas un raccord;
chaque brin d’aloès, chaque branche d’arbre, chaque motte de terre
vaut juste un coup de pinceau, sans reprise ni rature. Combien de
peintres sont aujourd’hui aussi maîtres de leur vue et de leur main?
Les paysages de M. Edelfelt sont plus enveloppés et d’une écri-
ture moins résolue ; ils ont un charme plus sympathique et plus ten-
dre. Le Coucher de soleil qui mire ses derniers rayons dans l’eau
dormeuse d’un fiord de Finlande, laisse dans les yeux et dans l’àme
une impression de douceur délicieuse. L’artiste hausse le ton dans
ses portraits dont le meilleur est celui de l’enfant vêtu de noir, très
propre à donner l’idée de sa manière.
Enfin, nous avons trop peu d’occasions d’admirer dans une œuvre
d'art les délicatesses, l’ingénuité, la candeur qui éclatent dans les
paysages norvégiens de M. Thaulow. La profondeur légère du ciel à
peine bleu, l’insaisissable transparence de la neige teintée, en sa
pâleur vivante, par une clarté boréale plus subtile que les premiers