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GAZETTE DES BEAUX-AIITS.
peries abondantes, sinon amples, dans une attitude qui manque de
liberté. Au premier abord, on prendrait ces deux morceaux pour
antiques ; mais il s’agit, en réalité, de ces contrefaçons chères à la
Renaissance (ne sait-on pas que celle-ci professait les idées les plus
libérales en matière de propriété artistique!). La pauvreté dans
l’interprétation des draperies ne laisse à cet égard aucune place au
doute.
Et puisque je parle de ces pastiches, je dois accorder un souvenir
à tout un peuple d’empereurs et de héros romains, têtes sans buste et
torses sans tête, que j’ai trouvé gisant pêle-mêle dans le jardin de
l’École, comme ces morts anonymes dont parle le poète : Sine nomine
corpus. Quoique la plupart de ces débris révélassent la main la plus
rude ou l’exécution la plus hâtive, j’ai cru de mon devoir de sauver
ce qui pouvait être sauvé, en faisant monter les fragments sur des
piédouches et en les installant dans une des salles de l’École. S’ils n’y
donneront pas de hautes leçons de goût, ils défendront du moins l’Ad-
ministration de l’École contre le reproche de vandalisme : ne pouvant
en faire des chefs-d’œuvre, elle les a du moins conservés à titre de
documents.
La chapelle funéraire de Commines (autrefois dans l’église des
Grands-Augustins), dont les dépouilles ont été partagées entre le
Louvre et l’École des Beaux-Arts, est contemporaine du château de
Gaillcn : elle a été construite et décorée en 1506, du vivant même de
cet observateur sagace, de ce narrateur spirituel, au style si pitto-
resque. L’intervention personnelle de l’éminent diplomate et écrivain
explique la prédominance de l’élément littéraire sur l’élément plas-
tique; cette accumulation et cet abus de faits historiques et d’em-
blèmes, cette longue mise en scène de toutes les victimes de l’Amour
ou de tous les exploits de Samson, ce mélange bizarre de souvenirs
païens et chrétiens : le sphynx d’Œdipe et le Bon Pasteur, Tantale,
les Symboles des Évangélistes et les Vertus, le griffon, le pélican
nourrissant ses petits de son sang, l’hippocampe, le paon, l’autruche
lançant une pierre au chasseur, la licorne se réfugiant dans le giron
d’une vierge, le dauphin portant un enfant sur le dos, que sais-je
encore! Tout cela traité dans un style terre à terre, sans relief,
sans saveur et sans esprit. Nous avons affaire, en effet, comme M. de
Guilhermy l’a fait justement observer, à l’œuvre d’un lettré apparte-
nant moitié au moyen âge et moitié à la Renaissance, encore chré-
tien, mais déjà épris des fables et des allégories de la mythologie.
GAZETTE DES BEAUX-AIITS.
peries abondantes, sinon amples, dans une attitude qui manque de
liberté. Au premier abord, on prendrait ces deux morceaux pour
antiques ; mais il s’agit, en réalité, de ces contrefaçons chères à la
Renaissance (ne sait-on pas que celle-ci professait les idées les plus
libérales en matière de propriété artistique!). La pauvreté dans
l’interprétation des draperies ne laisse à cet égard aucune place au
doute.
Et puisque je parle de ces pastiches, je dois accorder un souvenir
à tout un peuple d’empereurs et de héros romains, têtes sans buste et
torses sans tête, que j’ai trouvé gisant pêle-mêle dans le jardin de
l’École, comme ces morts anonymes dont parle le poète : Sine nomine
corpus. Quoique la plupart de ces débris révélassent la main la plus
rude ou l’exécution la plus hâtive, j’ai cru de mon devoir de sauver
ce qui pouvait être sauvé, en faisant monter les fragments sur des
piédouches et en les installant dans une des salles de l’École. S’ils n’y
donneront pas de hautes leçons de goût, ils défendront du moins l’Ad-
ministration de l’École contre le reproche de vandalisme : ne pouvant
en faire des chefs-d’œuvre, elle les a du moins conservés à titre de
documents.
La chapelle funéraire de Commines (autrefois dans l’église des
Grands-Augustins), dont les dépouilles ont été partagées entre le
Louvre et l’École des Beaux-Arts, est contemporaine du château de
Gaillcn : elle a été construite et décorée en 1506, du vivant même de
cet observateur sagace, de ce narrateur spirituel, au style si pitto-
resque. L’intervention personnelle de l’éminent diplomate et écrivain
explique la prédominance de l’élément littéraire sur l’élément plas-
tique; cette accumulation et cet abus de faits historiques et d’em-
blèmes, cette longue mise en scène de toutes les victimes de l’Amour
ou de tous les exploits de Samson, ce mélange bizarre de souvenirs
païens et chrétiens : le sphynx d’Œdipe et le Bon Pasteur, Tantale,
les Symboles des Évangélistes et les Vertus, le griffon, le pélican
nourrissant ses petits de son sang, l’hippocampe, le paon, l’autruche
lançant une pierre au chasseur, la licorne se réfugiant dans le giron
d’une vierge, le dauphin portant un enfant sur le dos, que sais-je
encore! Tout cela traité dans un style terre à terre, sans relief,
sans saveur et sans esprit. Nous avons affaire, en effet, comme M. de
Guilhermy l’a fait justement observer, à l’œuvre d’un lettré apparte-
nant moitié au moyen âge et moitié à la Renaissance, encore chré-
tien, mais déjà épris des fables et des allégories de la mythologie.