Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 4.1890

DOI Heft:
Nr. 1
DOI Artikel:
Lostalot, Alfred de: Revue musicale
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.24448#0093

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
REVUE MUSICALE.

83

quoique l’un d’eux au moins semblât devoir lui apporter quelque soulage-
ment, Berlioz a voulu s’amuser un instant et prouver que le bruit n'était pas
l’élément indispensable de son art. Cette preuve, il l’avait faite vingt fois
•déjà, mais on ne voulait pas le croire.

Les pontifes de l’ennui lui reprochent d’avoir enveloppé son rire de
formes vieillies et de mentir comme compositeur à toutes ses affirmations de
polémiste. Pour un peu on lui opposerait le Pcitere legem quam ipse fecisti...
Les disparates dans l’œuvre de Berlioz nous touchent peu et nous voulons
oublier ses écrits; son opéra de Béatrice est seul en cause : c’est de lui seul
que nous devons nous occuper. Et, d’ailleurs, les modèles dont il s’inspire
sont-ils si méprisables? on les nomme Gluck et Mozart. Les emprunts de
Berlioz ne vont pas au delà de certaines tournures qui appartiennent évidem-
ment à d’autres que lui, mais il a su en rafraîchir la coupe un peu surannée
par des agréments d’orchestre dont l'invention lui appartient en propre.
Quant aux idées, on ne lui reprochera pas de les avoir prises à personne.
Certes, elles n’ont pas la spontanéité de jet, la gaîté franche et simple qu'il
a cru y mettre; les artistes de sa valeur ne savent pas s’abandonner complè-
tement à leur verve; il faut qu’ils la raisonnent et qu’ils la fassent passer
par l’étamine d’un art dont ils sont à la fois les maîtres et les esclaves.

Berlioz, le plus intellectuel de tous les maîtres, s’est fait ainsi un tort
considérable dans l’esprit des masses, mais nous ne comprendrons jamais
qu’il n’ait pas pour défenseurs ceux-là précisément qui attachent tant d’im-
portance aux recherches de la facture. Son opéra de Béatrice et Bénédicl
nous semble, au point de vue de la technique, une œuvre exquise. Ce n’est
pas heureusement le seul mérite de la partition. A l’étudier de près — et il
suffit de l’avoir entendue deux fois pour la bien connaître — on s’aperçoit
qu’elle abonde en motifs gracieux exprimant avec autant de justesse que
d’élégance les sentiments en cause. C’est à peine si dans cette œuvre qui
comprend quinze morceaux, nous compterions deux ou trois pages qui nous
semblent mal venues; partout ailleurs, l’effort, si effort il y a, n’est jamais
stérile; la musique dit bien ce qu’elle veut dire dans un style un peu raffiné,
nous l’accordons, mais ce style est l’essence même du génie de Berlioz; il lui
doit d’être ce qu’il est, un musicien original, unique en son genre et, au
demeurant, l’artiste le plus haut placé de l’École de musique française.
Toutes ces considérations auraient dû, ce me semble, inspirer une certaine
réserve aux premiers auditeurs de Béatrice; j’en sais qui regrettent d’avoir
porté un jugement trop hâtif, ils ont dû faire amende honorable, l’œuvre
les ayant conquis dès la seconde audition. Avec le public, le grand public,
le succès n’a fait que s’accentuer à chaque représentation.

Ce n’est pas la première fois, du reste, que le jugement du « Tout Paris »
des premières se voit infirmé par la foule. Les gens du bel air sont trop
occupés d’eux-mêmes dans ces solennités, pour prêter toute l’attention
désirable à une œuvre d’art intime et discret qui ne s’impose par aucune
prétention dramatique. Nous ne leur devons pas moins des remercîments,
nous qui aimons la musique pour elle-même, car sans eux, sans leur empres-
sement à répondre à l’initiative intelligente et généreuse prise par Mme la
comtesse Greffülhe, il est probable que nous n’aurions jamais goûté le plaisir
 
Annotationen