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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
« ... J’allai chez M. Gérard, déjà si célèbre par ses tableaux de Bélisaire et de
Psyché. J’avais le plus grand désir de connaître ce grand artiste que l’on disait
si distingué par son esprit autant que par son rare talent. Je le trouvai en tout
digne de sa renommée, et je l’ai toujours compté depuis au nombre des personnes
dont j’aime à me rapprocher. Il venait alors de terminer le beau portrait de
Mme Bonaparte (mère de l’empereur), étendue sur un canapé, qui devait ajouter
encore à sa réputation dans ce genre ’. »
La gracieuse et vaillante artiste applaudit chaleureusement à la
nomination de Gérard comme premier peintre du roi:
« Ce lundi, 9 août 1817, à Luciennes, près Marly.
« J’ai appris avec une vraie satisfaction, très habile et très aimable maître, que
Sa Majesté vous avait nommé son premier peintre. Cela pouvait-il être autrement,
après avoir fait tant de chefs-d’œuvre et, par-dessus tout, celui d’Henri IV, qui est,
comme je vous l’ai dit, le plus parfait de vos ouvrages. Je suis allée l'admirer au
Salon et désire le revoir encore. Je voudrais bien qu’il fût placé dans un monu-
ment public, dans une grande salle bien éclairée, pour le revoir ; car je serais
désolée qu’il fût à sa première destination, mais, comme je vous l’ai assuré, en le
faisant plus haut on ne le coupera pas pour cette place.
« Recevez donc mes compliments, très aimable, et croyez qu’au milieu de ma
petite Thébaïde, j’ai souci de votre nouveau succès. »
Elle le consulte sur ses propres portraits :
« Vendredi, 2 janvier 182i.
« J’avais le désir et le projet, très aimable maëstro, d’aller vous demander votre
heure et votre jour pour venir voir un ou deux de mes tableaux, mais le mauvais
temps m’a retenue chez moi, d’autant plus que je suis toujours souffrante. Enfin,
quoique je n’aie pas fini le second portrait, je ne puis attendre plus longtemps vos
bons avis. Je vous soumettrai mon dernier, bien qu’il soit bien embu. Pouvez-vous
lundi à trois heures et demie, pour que vous ne perdiez pas le plus beau de votre
matinée, ou bien, ce que je préférerais, mardi avant midi? Ce serait alors avant
de vous installer dans votre atelier. Je désire être seule avec vous, pour que vous
me disiez tous mes défauts.
« Votre bien dévouée et attachée. »
Se souvenant sans doute des encouragements et des conseils que
lui avait donnés autrefois le bon Julien de Parme et sachant tout le
prix que peuvent avoir pour un débutant ces généreuses marques
d’intérêt, Gérard pressentit le poétique talent du futur peintre des
Moissonneurs et des Pêcheurs de l’Adriatique et, pendant de longues
années, il fut le protecteur et le confident du malheureux Léopold
Robert. Au moment même où celui-ci cherchait sa voie, hésitant 1
1. T. Il, p. lit.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
« ... J’allai chez M. Gérard, déjà si célèbre par ses tableaux de Bélisaire et de
Psyché. J’avais le plus grand désir de connaître ce grand artiste que l’on disait
si distingué par son esprit autant que par son rare talent. Je le trouvai en tout
digne de sa renommée, et je l’ai toujours compté depuis au nombre des personnes
dont j’aime à me rapprocher. Il venait alors de terminer le beau portrait de
Mme Bonaparte (mère de l’empereur), étendue sur un canapé, qui devait ajouter
encore à sa réputation dans ce genre ’. »
La gracieuse et vaillante artiste applaudit chaleureusement à la
nomination de Gérard comme premier peintre du roi:
« Ce lundi, 9 août 1817, à Luciennes, près Marly.
« J’ai appris avec une vraie satisfaction, très habile et très aimable maître, que
Sa Majesté vous avait nommé son premier peintre. Cela pouvait-il être autrement,
après avoir fait tant de chefs-d’œuvre et, par-dessus tout, celui d’Henri IV, qui est,
comme je vous l’ai dit, le plus parfait de vos ouvrages. Je suis allée l'admirer au
Salon et désire le revoir encore. Je voudrais bien qu’il fût placé dans un monu-
ment public, dans une grande salle bien éclairée, pour le revoir ; car je serais
désolée qu’il fût à sa première destination, mais, comme je vous l’ai assuré, en le
faisant plus haut on ne le coupera pas pour cette place.
« Recevez donc mes compliments, très aimable, et croyez qu’au milieu de ma
petite Thébaïde, j’ai souci de votre nouveau succès. »
Elle le consulte sur ses propres portraits :
« Vendredi, 2 janvier 182i.
« J’avais le désir et le projet, très aimable maëstro, d’aller vous demander votre
heure et votre jour pour venir voir un ou deux de mes tableaux, mais le mauvais
temps m’a retenue chez moi, d’autant plus que je suis toujours souffrante. Enfin,
quoique je n’aie pas fini le second portrait, je ne puis attendre plus longtemps vos
bons avis. Je vous soumettrai mon dernier, bien qu’il soit bien embu. Pouvez-vous
lundi à trois heures et demie, pour que vous ne perdiez pas le plus beau de votre
matinée, ou bien, ce que je préférerais, mardi avant midi? Ce serait alors avant
de vous installer dans votre atelier. Je désire être seule avec vous, pour que vous
me disiez tous mes défauts.
« Votre bien dévouée et attachée. »
Se souvenant sans doute des encouragements et des conseils que
lui avait donnés autrefois le bon Julien de Parme et sachant tout le
prix que peuvent avoir pour un débutant ces généreuses marques
d’intérêt, Gérard pressentit le poétique talent du futur peintre des
Moissonneurs et des Pêcheurs de l’Adriatique et, pendant de longues
années, il fut le protecteur et le confident du malheureux Léopold
Robert. Au moment même où celui-ci cherchait sa voie, hésitant 1
1. T. Il, p. lit.