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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 6.1891

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Nr. 1
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Rod, Édouard: Les salons de 1891 au Champ-de-Mars et aux Champs-Élysées, 2
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https://doi.org/10.11588/diglit.24450#0033

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LES SALONS DE 1891.

23

Et je m’efforçai de lui démontrer qu’il n’y en a jamais trop.
Evidemment, M. Louis Picard est muni d’une littérature spéciale : il
a cultivé Edgard Poë (voir Ligeia), les écrivains amoureux du
mystère (voir le Lac des Corbeaux), et, en même temps, les « psycho-
logues » (voir la Sphinge). Il a trouvé dans ces lectures, que les bonnes
gens qualifient de « troublantes », et qui le sont peut-être bien,
d’intimes correspondances avec ses dispositions naturelles. Il s’est
ainsi fait, ou du moins complété une sensibilité particulière, très
imaginative, très aiguë, un peu effarée parfois, un peu artificielle
aussi, à laquelle il a peut-être trop docilement asservi son talent de
peintre. Il est plus facile de rendre par les mots que par les couleurs
l’impression de mystère et d’effroi que dégage, par exemple, l’obscu-
rité. C’est pour cela sans doute que le Lac des Corbeaux cause plus
d’étonnement que d’émotion : pour être saisi par un paysage qu’on
ne voit pas, il faut le frisson de l’air humide, le bourdonnement du
silence, le clapotis de l’eau lourde, mille sensations enfin qui arrivent à
l’àme autrement que par la vue. En revanche, Mimosa et Sphinge
sont deux compositions saisissantes : la dernière surtout, si moderne
et si imposante dans le mystère de son attitude et de ses yeux verts,
luisants et mobiles comme des flammes de feux follets. Seulement,
les peintres trouvent que l’exécution n’est pas à la hauteur du rêve.

Je n’essayerai pas de cacher la tendresse toute particulière que
j’ai vouée aux trois toiles de M. Armand Point : Caresse de soleil,
Mélancolie et Portrait de Mme S. M-.. Elles marquent pour moi le point
précis où peuvent et doivent se rencontrer la littérature et l’art,
elles font jaillir la poésie directement de ce qu’elles représentent, et
cette poésie qu’elles dégagent, c’est le pur ravissement des yeux aux
spectacles où ils se posent, c’est la joie naïve de la gaieté des couleurs,
de leurs mélanges, de leurs reflets, des formes qui s’atténuent dans
les transparences de l’air, des jeux folâtres et charmants de la
lumière. Le portrait de Mme C. M... —une jeune femme qui s’avance
en souriant dans un parterre d’iris blancs et de pervenches —révèle
un sentiment exceptionnel et charmant de l’harmonie des choses
et des êtres, du sens que pi’end l’être humain lorsqu’il se mêle à la
nature. Ce sentiment apparait plus profond, plus communicatif, plus
envahissant, dans Caresse de soleil : une jeune femme nue marchant
dans un rayon, parmi de hautes herbes qu’ombragent de grands
arbres, vers une eau fraîche, toute frissonnante de reflets, où elle va
se plonger. Elle est adorable de jeunesse et de grâce, et surtout,
dans cette solitude presque sacrée à force de silence et de liberté.
 
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