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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et des voûtes légères; ils n’avaient que faire de moellons bien taillés.
Les marbres proviendraient plutôt de Sousse, l’ancienne Hadrumète,
d’Ed-Djem, l’ancien Thysdrus, et en général d’un pillage en règle de
la côte où les anciens avaient tant de stations florissantes. Le grand
amphithéâtre d’Ed-Djem est bâti en pierre comme les temples de
Sbeïtla, mais on y rencontre beaucoup de fragments et des blocs
considérables de marbre.
La salle unique de la mosquée est une épaisse colonnade, un
quinconce composé de 17 doubles nefs de huit arceaux chacune,
portées sur des arcs à peine refermés. On dirait un musée de tous les
styles de l’antiquité et de la décadence romaine. Toutes les colonnes
sont en effet surmontées de chapiteaux; mais il est rare que ces
chapiteaux soient contemporains du fût qu’ils couronnent ; ils sont de
tous les arts, de toutes les familles. Complètement analogue pour le
plan à la mosquée de Cordoue ‘, qui fut commencée dix ans après la
fondation de Kairouan et pourrait être appelée la doyenne des grandes
mosquées, la mosquée de Sidi-Okba a été construite, comme Saint-
Marc de Venise, avec des fragments arrachés à tous les édifices païens
et chrétiens du littoral, fragments rapprochés ici sans intelligence.
Peu de chapiteaux sont d’un style pur. Le style des monuments
antiques d’Afrique est généralement un style de décadence. Dans les
ruines qui subsistent, — à l’amphithéâtre d’Ed-Djem par exemple,
—* on observe combien la correction de l’ionique et du corinthien
s’est vite altérée; les plus beaux modèles se sont corrompus; les
corniches elles-mêmes sont abâtardies. Les ouvriers africains
évitaient de détacher les saillies; ils procédaient comme les ouvriers
byzantins, avec hâte, à coups de bouterolle rapprochés, pour découper
les feuillages. La fantaisie les entraînait parfois jusqu’à recourber
« en coup de vent » l’acanthe rigide. Un grand nombre de chapiteaux
de Kairouan, du style byzantin, en forme de diadème, de cubes, de
corbeilles, de troncs de pyramides renversés, m’ont rappelé ceux de
la basilique vénitienne et de Saint-Vital de Ravenne; d’autres, à
simples entrelacs, à ornements réticulés, sont du style roman ou
siculo-normand des basiliques palermitaines ; mais le faux corinthien
domine. En tout cas, il n’y a pas dans toute la mosquée un seul
chapiteau de style arabe. Quelle différence avec Tlemcen, où on ne
trouve pas un seul chapiteau antique!
•1. Cette dernière a dix-neuf nefs sur trente-trois; elle est donc deux fois plus
vaste.
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et des voûtes légères; ils n’avaient que faire de moellons bien taillés.
Les marbres proviendraient plutôt de Sousse, l’ancienne Hadrumète,
d’Ed-Djem, l’ancien Thysdrus, et en général d’un pillage en règle de
la côte où les anciens avaient tant de stations florissantes. Le grand
amphithéâtre d’Ed-Djem est bâti en pierre comme les temples de
Sbeïtla, mais on y rencontre beaucoup de fragments et des blocs
considérables de marbre.
La salle unique de la mosquée est une épaisse colonnade, un
quinconce composé de 17 doubles nefs de huit arceaux chacune,
portées sur des arcs à peine refermés. On dirait un musée de tous les
styles de l’antiquité et de la décadence romaine. Toutes les colonnes
sont en effet surmontées de chapiteaux; mais il est rare que ces
chapiteaux soient contemporains du fût qu’ils couronnent ; ils sont de
tous les arts, de toutes les familles. Complètement analogue pour le
plan à la mosquée de Cordoue ‘, qui fut commencée dix ans après la
fondation de Kairouan et pourrait être appelée la doyenne des grandes
mosquées, la mosquée de Sidi-Okba a été construite, comme Saint-
Marc de Venise, avec des fragments arrachés à tous les édifices païens
et chrétiens du littoral, fragments rapprochés ici sans intelligence.
Peu de chapiteaux sont d’un style pur. Le style des monuments
antiques d’Afrique est généralement un style de décadence. Dans les
ruines qui subsistent, — à l’amphithéâtre d’Ed-Djem par exemple,
—* on observe combien la correction de l’ionique et du corinthien
s’est vite altérée; les plus beaux modèles se sont corrompus; les
corniches elles-mêmes sont abâtardies. Les ouvriers africains
évitaient de détacher les saillies; ils procédaient comme les ouvriers
byzantins, avec hâte, à coups de bouterolle rapprochés, pour découper
les feuillages. La fantaisie les entraînait parfois jusqu’à recourber
« en coup de vent » l’acanthe rigide. Un grand nombre de chapiteaux
de Kairouan, du style byzantin, en forme de diadème, de cubes, de
corbeilles, de troncs de pyramides renversés, m’ont rappelé ceux de
la basilique vénitienne et de Saint-Vital de Ravenne; d’autres, à
simples entrelacs, à ornements réticulés, sont du style roman ou
siculo-normand des basiliques palermitaines ; mais le faux corinthien
domine. En tout cas, il n’y a pas dans toute la mosquée un seul
chapiteau de style arabe. Quelle différence avec Tlemcen, où on ne
trouve pas un seul chapiteau antique!
•1. Cette dernière a dix-neuf nefs sur trente-trois; elle est donc deux fois plus
vaste.