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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Avant même que la Belgique fût conslituée en État indépendant, la question
artistique avait été envisagée avec quelque sollicitude sous les régimes qui, succes-
sivement, présidèrent à nos destinées. Charles de Lorraine, par exemple, pendant
plus d’un quart de siècle que dura sa présence à Bruxelles, comme lieutenant de
Marie-Thérèse, se préoccupa d’être un protecteur des arts. 11 institua des récom-
penses pour les académies de dessin, de peinture, donna des subsides aux artistes
et leur servit des bourses de voyage, provoqua des expositions. C’était, du reste, un
connaisseur, et sa galerie de tableaux, comme sa collection de dessins, de médailles
et d’estampes, est restée célèbre.
Sous l’Empire, les artistes ne furent pas absolument délaissés. Beaucoup s’en
allaient à Paris compléter leurs études et plus d’un Belge remporta le prix aux
grands concours, en France même. Yint le régime hollandais. Tout était à créer.
Le roi Guillaume contribua beaucoup, il faut le dire, à assurer aux Pays-Bas une
rénovation artistique. Les écoles se multiplièrent, les grands concours furent insti-
tués, les expositions devinrent régulières. La présence de David à Bruxelles ne
pouvait manquer d’influer puissamment sur la direction de toutes ces choses. Non
seulement l’atelier du maître était très suivi, mais ses principes régnaient sans
partage dans l'enseignement. Inutile de le dire, il n’y avait place dans les prédi-
lections de la foule que pour les œuvres frottées d'hellénisme ; pour s’en persuader, il
suffit de parcourir les musées de province où figurent encore les travaux couronnés
aux divers concours organisés par les sociétés des Beaux-Arts. Allez voir au Musée
de Gand une peinture de Paelinck, représentant la Belle Anthia, premier prix du
concours de 1820, un coup d’œil vous dira qu’en pleine Flandre, les Grecs et les
Romains régnaient sans partage, que là encore, pour me servir de l’expression de
Charlet, la rotule des Atrides se montrait même à travers les pantalons bourgeois.
Bien qu’un peu tardive, une réaction se produisit à la veille de la Révolution
de 1830. Le romantisme fit sa première apparition au Salon de cette même année
avec une vaste toile de Wappers, alors très jeune, et le prince d’Orange lui-même
acquit la peinture qu’on peut voir aujourd’hui au Musée d’Utrecht. Wappers lui
aussi avait exécuté pour le concours de Rome, où d’ailleurs il échoua, un Coriolan
qui n’annonçait que de fort loin les succès romantiques de son auteur. Lorsque,
toutefois, il s’agit de donner un directeur à l’Académie d’Anvers, la préférence échut
à Van Bréc, ancien élève de Vincent et lui-même auteur d’une méthode absolument
basée sur les principes de David. Même chose à Bruxelles, où Navez, disciple direct du
peintre des Horaces, eut, à côté d’un atelier très suivi, la direction de l’école officielle.
Le temps a sans doute apporté quelques tempéraments à la rigueur du système
issu des enseignements de l’illustre proscrit de la Restauration, mais on peut dire
que dans ses lignes générales, il n’a pas cessé de servir de base à l’enseignement, et
comme la plupart des localités de quelque importance ont leur école, subventionnée
par l’État et contrôlée par lui, nous assistons à ce phénomène qu’un jeune homme,
dès qu’il apprend à manier le crayon, aspire à entrer en tête antique, pour aborder
ensuite le torse et la figure, tout en sachant que ces types l’éloignent de la nature
qu’il a sans cesse sous les yeux, et — tant est forte la puissance dos traditions —
qu'il suppose indignes de servir de modèle.
On signale à bon druit les surprenantes audaces de certains novateurs, sans se
douter que, précisément, pareilles audaces se justifient comme réaction outrancière
contre un ensemble de théories dont le désaccord n’est que trop flagrant avec la
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Avant même que la Belgique fût conslituée en État indépendant, la question
artistique avait été envisagée avec quelque sollicitude sous les régimes qui, succes-
sivement, présidèrent à nos destinées. Charles de Lorraine, par exemple, pendant
plus d’un quart de siècle que dura sa présence à Bruxelles, comme lieutenant de
Marie-Thérèse, se préoccupa d’être un protecteur des arts. 11 institua des récom-
penses pour les académies de dessin, de peinture, donna des subsides aux artistes
et leur servit des bourses de voyage, provoqua des expositions. C’était, du reste, un
connaisseur, et sa galerie de tableaux, comme sa collection de dessins, de médailles
et d’estampes, est restée célèbre.
Sous l’Empire, les artistes ne furent pas absolument délaissés. Beaucoup s’en
allaient à Paris compléter leurs études et plus d’un Belge remporta le prix aux
grands concours, en France même. Yint le régime hollandais. Tout était à créer.
Le roi Guillaume contribua beaucoup, il faut le dire, à assurer aux Pays-Bas une
rénovation artistique. Les écoles se multiplièrent, les grands concours furent insti-
tués, les expositions devinrent régulières. La présence de David à Bruxelles ne
pouvait manquer d’influer puissamment sur la direction de toutes ces choses. Non
seulement l’atelier du maître était très suivi, mais ses principes régnaient sans
partage dans l'enseignement. Inutile de le dire, il n’y avait place dans les prédi-
lections de la foule que pour les œuvres frottées d'hellénisme ; pour s’en persuader, il
suffit de parcourir les musées de province où figurent encore les travaux couronnés
aux divers concours organisés par les sociétés des Beaux-Arts. Allez voir au Musée
de Gand une peinture de Paelinck, représentant la Belle Anthia, premier prix du
concours de 1820, un coup d’œil vous dira qu’en pleine Flandre, les Grecs et les
Romains régnaient sans partage, que là encore, pour me servir de l’expression de
Charlet, la rotule des Atrides se montrait même à travers les pantalons bourgeois.
Bien qu’un peu tardive, une réaction se produisit à la veille de la Révolution
de 1830. Le romantisme fit sa première apparition au Salon de cette même année
avec une vaste toile de Wappers, alors très jeune, et le prince d’Orange lui-même
acquit la peinture qu’on peut voir aujourd’hui au Musée d’Utrecht. Wappers lui
aussi avait exécuté pour le concours de Rome, où d’ailleurs il échoua, un Coriolan
qui n’annonçait que de fort loin les succès romantiques de son auteur. Lorsque,
toutefois, il s’agit de donner un directeur à l’Académie d’Anvers, la préférence échut
à Van Bréc, ancien élève de Vincent et lui-même auteur d’une méthode absolument
basée sur les principes de David. Même chose à Bruxelles, où Navez, disciple direct du
peintre des Horaces, eut, à côté d’un atelier très suivi, la direction de l’école officielle.
Le temps a sans doute apporté quelques tempéraments à la rigueur du système
issu des enseignements de l’illustre proscrit de la Restauration, mais on peut dire
que dans ses lignes générales, il n’a pas cessé de servir de base à l’enseignement, et
comme la plupart des localités de quelque importance ont leur école, subventionnée
par l’État et contrôlée par lui, nous assistons à ce phénomène qu’un jeune homme,
dès qu’il apprend à manier le crayon, aspire à entrer en tête antique, pour aborder
ensuite le torse et la figure, tout en sachant que ces types l’éloignent de la nature
qu’il a sans cesse sous les yeux, et — tant est forte la puissance dos traditions —
qu'il suppose indignes de servir de modèle.
On signale à bon druit les surprenantes audaces de certains novateurs, sans se
douter que, précisément, pareilles audaces se justifient comme réaction outrancière
contre un ensemble de théories dont le désaccord n’est que trop flagrant avec la