THOMAS LAWRENCE.
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lui-même l’année suivante, en 1795, lorsque son persécuteur Pasquin
fut contraint d’avouer que ses portraits de l’Exposition étaient « les
meilleurs des bons »! Et le fait est qu’il avait envoyé cette année-là
des morceaux excellents, aussi brillants et aussi agréables à l’oeil que
ses plus beaux portraits des années suivantes, mais avec une sobriété
de composition, un naturel et une franchise qu’il ne devait plus
retrouver que de loin en loin.
Un second portrait de Sir Charles Grey, cette fois en officier
(gravé par Collyer en 1797), et un portrait de Lady Inchiquin (gravé
par W. Bond), attestaient clairement, chez Lawrence, comme on peut
s’en rendre compte par la seule vue des gravures, cette tendance à la
concentration et à l’épuration du style. Mais les deux morceaux
capitaux de l’exposition de Lawrence en 1795, ce furent deux
dessins, le portrait de famille des Angerstein et le portrait du poète
William Cowper. Ce dernier dessin a été gravé la même année par
Bartolozzi : c’est un pur chef-d’œuvre, je le recommande à tous ceux
qui croient Lawrence incapable de la force et de la profondeur
classiques.
Le poète Cowper, dont ce portrait nous fait voir la douce et pen-
sive figure, était un des plus fervents amis de Lawrence. M. Williams,
dans sa biographie du peintre, a publié une lettre charmante et
pleine de tendresse que lui avait adressée le poète, l’invitant à
« descendre le voir dans sa solitude de Weston » et « à faire pour lui
un dessin d’après le vieux chêne ».
Cowper était d’ailleurs un homme à tout le moins singulier. Né
en 1731 d’un père clergyman, il avait fait de très sérieuses études,
et s’était présenté, après une longue préparation, à un examen pour
le poste de clerk à la Chambre des lords. Mais lorsqu’il comprit tout
à fait qu’il allait être forcé, dans un moment, d’affronter les épreuves
orales du concours, et de s’asseoir en face de personnages inconnus
qui ne manqueraient pas de vouloir le manger vivant, une telle
frayeur le prit qu’il résolut de se tuer. On le sauva de la mort, mais
le coup avait été si violent, que le malheureux en resta toute sa vie
frappé. Deux ans il n’eut connaissance de rien ni de personne, et
passa pour fou; après quoi il se remit, mais jamais complètement;
de temps à autre il sentait approcher une crise nouvelle, d’où il
sortait malade et découragé. Encore avait-il auprès de lui, à Olney
en Buckinghamshire, où il vécut la plus grande partie de sa vie,
un certain curé, le révérend John Newton, qui contribuait consi-
dérablement à l’affoler. Ce farouche puritain, pour qui Cowper a
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lui-même l’année suivante, en 1795, lorsque son persécuteur Pasquin
fut contraint d’avouer que ses portraits de l’Exposition étaient « les
meilleurs des bons »! Et le fait est qu’il avait envoyé cette année-là
des morceaux excellents, aussi brillants et aussi agréables à l’oeil que
ses plus beaux portraits des années suivantes, mais avec une sobriété
de composition, un naturel et une franchise qu’il ne devait plus
retrouver que de loin en loin.
Un second portrait de Sir Charles Grey, cette fois en officier
(gravé par Collyer en 1797), et un portrait de Lady Inchiquin (gravé
par W. Bond), attestaient clairement, chez Lawrence, comme on peut
s’en rendre compte par la seule vue des gravures, cette tendance à la
concentration et à l’épuration du style. Mais les deux morceaux
capitaux de l’exposition de Lawrence en 1795, ce furent deux
dessins, le portrait de famille des Angerstein et le portrait du poète
William Cowper. Ce dernier dessin a été gravé la même année par
Bartolozzi : c’est un pur chef-d’œuvre, je le recommande à tous ceux
qui croient Lawrence incapable de la force et de la profondeur
classiques.
Le poète Cowper, dont ce portrait nous fait voir la douce et pen-
sive figure, était un des plus fervents amis de Lawrence. M. Williams,
dans sa biographie du peintre, a publié une lettre charmante et
pleine de tendresse que lui avait adressée le poète, l’invitant à
« descendre le voir dans sa solitude de Weston » et « à faire pour lui
un dessin d’après le vieux chêne ».
Cowper était d’ailleurs un homme à tout le moins singulier. Né
en 1731 d’un père clergyman, il avait fait de très sérieuses études,
et s’était présenté, après une longue préparation, à un examen pour
le poste de clerk à la Chambre des lords. Mais lorsqu’il comprit tout
à fait qu’il allait être forcé, dans un moment, d’affronter les épreuves
orales du concours, et de s’asseoir en face de personnages inconnus
qui ne manqueraient pas de vouloir le manger vivant, une telle
frayeur le prit qu’il résolut de se tuer. On le sauva de la mort, mais
le coup avait été si violent, que le malheureux en resta toute sa vie
frappé. Deux ans il n’eut connaissance de rien ni de personne, et
passa pour fou; après quoi il se remit, mais jamais complètement;
de temps à autre il sentait approcher une crise nouvelle, d’où il
sortait malade et découragé. Encore avait-il auprès de lui, à Olney
en Buckinghamshire, où il vécut la plus grande partie de sa vie,
un certain curé, le révérend John Newton, qui contribuait consi-
dérablement à l’affoler. Ce farouche puritain, pour qui Cowper a