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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
qu’émeutes sanglantes, renaissantes agitations, mêlées de violences
et de ruses. Les bourgeois, souvent vaincus, jamais réduits, se
reforment sans répit et soutiennent le combat. A Beauvais, le sang
coule à flots; la ville est érigée en commune en 1099, mais l’apai-
sement ne peut se faire. A Laon, l’exaspération se pousse à tel point
que, le 25 avril 1112, cathédrale et palais épiscopal sont envahis,
mis à sac, incendiés, et qu’on massacre l’évêque Gaudry parmi ses
gens. La charte municipale, concédée en 1128, est attaquée avec une
véhémence inouïe par le Chapitre, défendue avec une indicible
énergie par la population. Le roi de France, auquel il arrive de
motiver résolument ses chartes d’affranchissement par « l’écrase-
ment des pauvres », comme à Mantes (pro nimiâ oppressione pau-
perum), ou par « les excès du clergé », comme à Compiègne (propter
enormitates clericorum), a, dans la pratique, de singulières hésitations
devant le pouvoir spirituel. A Cambrai, à Reims, la Commune ne
l’emporte qu’à force de temps et de rude persévérance. Un aperçu des
luttes, particulièrement significatives, de la Bourgeoisie de Reims,
nous rendra sensible l’âpreté des passions dans les villes épiscopales.
Les évêques de Reims, depuis Louis d’Outremer, sont comtes de
la ville, seigneurs souverains, levant milice, battant monnaie, si
indépendants qu’ils ne reçoivent, sur leur territoire, que les pièces à
l’effigie du roi avec les leurs. A la mort de l’archevêque Renaud de
Martigny et à la faveur de l’interrègne, les Rémois, longtemps con-
tenus, sollicitent du roi Louis YII une constitution pareille à celle de
Laon. Elle leur est donnée, en 1238, sans difficulté, sous la seule
réserve qu'ils ri attenteront pas aux droits de F archevêché et des églises. De
cette clause mal définie naissent des contestations, des interprétations
contraires, froissements et sujets de troubles continuels. En 1147,
durant le pontificat de Samson de Mauvoisin, les communistes
molestés battent les gens de l’archevêque. Les choses vont si loin
que l’abbé Suger, alors ministre, est requis d’envoyer des soldats au
secours de Samson. Quelques années s’écoulent : l’intolérant Henri
de France, précédemment évêque de Beauvais, s’avise de supprimer
l’échevinage. Grande colère des Rémois, tumultes dans la rue, insur-
rection déclarée. Les troupes royales, accourues en toute hâte, rasent
cinquante maisons d’insurgés. Cinquante maisons de partisans de
l’archevêché sont rasés par les bourgeois, en représailles. L’éche-
vinage n’est pas restitué, mais la Commune est maintenue et les
habitants réclament leurs échevins avec tant de constance que
Guillaume de Champagne fait revivre l’institution, en 1182, en des
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qu’émeutes sanglantes, renaissantes agitations, mêlées de violences
et de ruses. Les bourgeois, souvent vaincus, jamais réduits, se
reforment sans répit et soutiennent le combat. A Beauvais, le sang
coule à flots; la ville est érigée en commune en 1099, mais l’apai-
sement ne peut se faire. A Laon, l’exaspération se pousse à tel point
que, le 25 avril 1112, cathédrale et palais épiscopal sont envahis,
mis à sac, incendiés, et qu’on massacre l’évêque Gaudry parmi ses
gens. La charte municipale, concédée en 1128, est attaquée avec une
véhémence inouïe par le Chapitre, défendue avec une indicible
énergie par la population. Le roi de France, auquel il arrive de
motiver résolument ses chartes d’affranchissement par « l’écrase-
ment des pauvres », comme à Mantes (pro nimiâ oppressione pau-
perum), ou par « les excès du clergé », comme à Compiègne (propter
enormitates clericorum), a, dans la pratique, de singulières hésitations
devant le pouvoir spirituel. A Cambrai, à Reims, la Commune ne
l’emporte qu’à force de temps et de rude persévérance. Un aperçu des
luttes, particulièrement significatives, de la Bourgeoisie de Reims,
nous rendra sensible l’âpreté des passions dans les villes épiscopales.
Les évêques de Reims, depuis Louis d’Outremer, sont comtes de
la ville, seigneurs souverains, levant milice, battant monnaie, si
indépendants qu’ils ne reçoivent, sur leur territoire, que les pièces à
l’effigie du roi avec les leurs. A la mort de l’archevêque Renaud de
Martigny et à la faveur de l’interrègne, les Rémois, longtemps con-
tenus, sollicitent du roi Louis YII une constitution pareille à celle de
Laon. Elle leur est donnée, en 1238, sans difficulté, sous la seule
réserve qu'ils ri attenteront pas aux droits de F archevêché et des églises. De
cette clause mal définie naissent des contestations, des interprétations
contraires, froissements et sujets de troubles continuels. En 1147,
durant le pontificat de Samson de Mauvoisin, les communistes
molestés battent les gens de l’archevêque. Les choses vont si loin
que l’abbé Suger, alors ministre, est requis d’envoyer des soldats au
secours de Samson. Quelques années s’écoulent : l’intolérant Henri
de France, précédemment évêque de Beauvais, s’avise de supprimer
l’échevinage. Grande colère des Rémois, tumultes dans la rue, insur-
rection déclarée. Les troupes royales, accourues en toute hâte, rasent
cinquante maisons d’insurgés. Cinquante maisons de partisans de
l’archevêché sont rasés par les bourgeois, en représailles. L’éche-
vinage n’est pas restitué, mais la Commune est maintenue et les
habitants réclament leurs échevins avec tant de constance que
Guillaume de Champagne fait revivre l’institution, en 1182, en des