GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
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tels que Soumy, Chapu, Gaillard, Émile Lévy, etc., soit par celui
d’autres jeunes Français, venus librement en Italie, avec des idées
plus indépendantes. C’est à ce moment que Delaunay se lia avec
M. Gustave Moreau et cette longue amitié n’a pas été sans exercer
une influence visible sur la direction de ses rêves comme sur ses
préoccupations techniques.
Ses envois de deuxième année, en 1859, témoignèrent surtout de
la conscience rigoureuse avec laquelle il poursuivait la perfection dans
tout ce qu’il faisait. Sa figure d’étude, inspirée par une fable de
La Fontaine, la Colombe et la Fourmi, représentait un paysan nu,
qu’on voit de dos, se retournant brusquement pour regarder l’insecte
qui l’a piqué au talon. La silhouette, soigneusement combinée et
ajourée, de ce corps nerveux, indiquait une recherche déjà savante,
à la manière florentine, de l’élégance virile dans le rythme plastique.
La peinture restait mince encore, mais avec des inquiétudes labo-
rieuses dans le modelé et dans les colorations, et une particulière
façon de réveiller la tonalité générale et sobre par quelques rehauts
vifs et colorés suivant l’usage de certains primitifs. Presque toutes
les figures isolées qu’a peintes, durant sa vie, Delaunay, sont com-
prises de même sorte; seulement, à mesure que l’expérience arrivait,
son rythme devenait plus hardi et plus sûr, son dessin plus serré
et plus dense, sa coloration plus riche et plus souple. Dans sa compo-
sition delà Nymphe Hespérie fuyant la poursuite d’Esachus, fils de Priant,
il s’était efforcé de grouper, dans le même esprit, en y ajoutant la
note de tendresse, une figure de femme nue et une figure d’homme
drapé. Cette toile, d'un sentiment très distingué et d’une facture
délicate, lui valut, à juste titre, de grands éloges. Son goût exigeant
n’en fut pourtant jamais satisfait. Cette gracieuse élégie est un des
quatre ou cinq sujets qui ne cessèrent, jusqu’à la fin, de hanter son
imagination inquiète et fidèle et pour lesquels il a multiplié les
variantes, sans jamais se résoudre à considérer aucune d’elles comme
définitive. On peut croire que ce fut vers le même temps qu’il s’éprit,
à son tour, de deux ou trois créations immortelles de la poésie
grecque dont les Florentins et les Vénitiens avaient déjà raffolé,
parce qu’elles symbolisent la beauté exaltée par le malheur, le cou-
rage, ou le génie, Andromède, Eurydice, Persée, Orphée. Combien
de fois, sur ses toiles et sur ses albums, a-t-il évoqué tous ces
couples aimables, en images souvent délicieuses, sans jamais les
trouver égales à son rêve!
Le danger de travailler ainsi c’est de s’endormir peu à peu dans
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tels que Soumy, Chapu, Gaillard, Émile Lévy, etc., soit par celui
d’autres jeunes Français, venus librement en Italie, avec des idées
plus indépendantes. C’est à ce moment que Delaunay se lia avec
M. Gustave Moreau et cette longue amitié n’a pas été sans exercer
une influence visible sur la direction de ses rêves comme sur ses
préoccupations techniques.
Ses envois de deuxième année, en 1859, témoignèrent surtout de
la conscience rigoureuse avec laquelle il poursuivait la perfection dans
tout ce qu’il faisait. Sa figure d’étude, inspirée par une fable de
La Fontaine, la Colombe et la Fourmi, représentait un paysan nu,
qu’on voit de dos, se retournant brusquement pour regarder l’insecte
qui l’a piqué au talon. La silhouette, soigneusement combinée et
ajourée, de ce corps nerveux, indiquait une recherche déjà savante,
à la manière florentine, de l’élégance virile dans le rythme plastique.
La peinture restait mince encore, mais avec des inquiétudes labo-
rieuses dans le modelé et dans les colorations, et une particulière
façon de réveiller la tonalité générale et sobre par quelques rehauts
vifs et colorés suivant l’usage de certains primitifs. Presque toutes
les figures isolées qu’a peintes, durant sa vie, Delaunay, sont com-
prises de même sorte; seulement, à mesure que l’expérience arrivait,
son rythme devenait plus hardi et plus sûr, son dessin plus serré
et plus dense, sa coloration plus riche et plus souple. Dans sa compo-
sition delà Nymphe Hespérie fuyant la poursuite d’Esachus, fils de Priant,
il s’était efforcé de grouper, dans le même esprit, en y ajoutant la
note de tendresse, une figure de femme nue et une figure d’homme
drapé. Cette toile, d'un sentiment très distingué et d’une facture
délicate, lui valut, à juste titre, de grands éloges. Son goût exigeant
n’en fut pourtant jamais satisfait. Cette gracieuse élégie est un des
quatre ou cinq sujets qui ne cessèrent, jusqu’à la fin, de hanter son
imagination inquiète et fidèle et pour lesquels il a multiplié les
variantes, sans jamais se résoudre à considérer aucune d’elles comme
définitive. On peut croire que ce fut vers le même temps qu’il s’éprit,
à son tour, de deux ou trois créations immortelles de la poésie
grecque dont les Florentins et les Vénitiens avaient déjà raffolé,
parce qu’elles symbolisent la beauté exaltée par le malheur, le cou-
rage, ou le génie, Andromède, Eurydice, Persée, Orphée. Combien
de fois, sur ses toiles et sur ses albums, a-t-il évoqué tous ces
couples aimables, en images souvent délicieuses, sans jamais les
trouver égales à son rêve!
Le danger de travailler ainsi c’est de s’endormir peu à peu dans