SIMON-JACQUES IlOCIIARD.
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On comprend que, fidèle à ses traditions classiques, l’ami de
Rochard ait été, comme tant d’autres contemporains, un adversaire
résolu du romantisme en peinture et qu’il ait peu goûté les audacieuses
tentatives de Delacroix (qu’il s’obstinait à appeler Lacroix). Après
avoir salué avec sympathie l’apparition du jeune maître, frappé sans
doute par les qualités toutes nouvelles de la Barque de Dante, applaudie
par la plupart des amateurs de l’époque, il ne tarde pas à revenir sur
cette impression première pour juger avec trop de rigueur les œuvres
suivantes du grand peintre :
Lacroix a fait un tableau de décoration pour mettre dans une de ces salles,
c’est un Justinien composant le recueil de Lois connues sous le nom de Institut
de Justinien ou Pandectes. 11 y a de la couleur, mais hélas! il n’y a d'imitation
que pour les objets accessoires les moins importants. La première chose qu’il faut
savoir, c’est d’imiter avec précision. Les premières choses de Rembrandt sont des
imitations très précieuses, ensuite il a élargi sa manière ; mais celui qui sans savoir
imiter exactement veut faire large, ne fait plus qu’une grande esquisse.
Je vois la route dans laquelle se trouve Lacroix, avec peine parce que j’avais
compté sur lui pour ramener notre école vers le coloris; mais il est impossible
qu’il ait assez de sciences pour avoir des imitateurs. Reynolds ne dessinait pas
mieux que lui ; mais il dessinait bien une tête et la peignait admirablement. Or
notre coloriste ne pourrait pas faire un portrait, surtout un portrait de femme ou
d’enfant. (Août 1827.)
L’année suivante, Delacroix envoie à Londres un de ses tableaux
qui y est fort admiré. Rochard s’empresse d’annoncer à son ami
ce succès qui semble redoubler la colère de Léonor Mérimée ; tout
en étant forcé de reconnaître les puissantes qualités du grand colo-
riste dans l’œuvre exposée en Angleterre, il se venge sur un autre
tableau de Delacroix, qui figurait au Salon de Paris :
Je ne suis pas surpris que le tableau de Lacroix ait du succès à Londres. Il y
a vraiment de la couleur dans ce tableau, et une entente générale d’effet qui
rappelle Paul Yéronèse; mais j’aurais été bien surpris si les amateurs des tableaux
de Wilkie avaient trouvé les détails de Lacroix assez terminés.
Vous n’avez pas vu le grand tableau qu’il a exposé. C’est une capilotade qui
n’a ni queue ni tête, et dans laquelle cependant il y a de la couleur; mais ce n’est
autre chose qu’une grande esquisse qui n’a pas le sens commun; quoiqu’il y ait des
prôneurs de cet ouvrage, je ne crois pas qu’il puisse pervertir notre École. Il fau-
drait, pour faire révolution, commencer par savoir imiter avec vérité au moins les
parties essentielles. Lorsque l’on voit le portrait de sir Thomas Lawrence, on l’excuse
de n’avoir pas rendu le velours, le rocher et le fond de ce tableau avec plus de
vérité, parce que l’on voit par la tête de l’enfant que le peintre pouvait mettre
dans tous les détails accessoires la même vérité qu’il a mise dans la tête.
(11 mars 1828.)
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On comprend que, fidèle à ses traditions classiques, l’ami de
Rochard ait été, comme tant d’autres contemporains, un adversaire
résolu du romantisme en peinture et qu’il ait peu goûté les audacieuses
tentatives de Delacroix (qu’il s’obstinait à appeler Lacroix). Après
avoir salué avec sympathie l’apparition du jeune maître, frappé sans
doute par les qualités toutes nouvelles de la Barque de Dante, applaudie
par la plupart des amateurs de l’époque, il ne tarde pas à revenir sur
cette impression première pour juger avec trop de rigueur les œuvres
suivantes du grand peintre :
Lacroix a fait un tableau de décoration pour mettre dans une de ces salles,
c’est un Justinien composant le recueil de Lois connues sous le nom de Institut
de Justinien ou Pandectes. 11 y a de la couleur, mais hélas! il n’y a d'imitation
que pour les objets accessoires les moins importants. La première chose qu’il faut
savoir, c’est d’imiter avec précision. Les premières choses de Rembrandt sont des
imitations très précieuses, ensuite il a élargi sa manière ; mais celui qui sans savoir
imiter exactement veut faire large, ne fait plus qu’une grande esquisse.
Je vois la route dans laquelle se trouve Lacroix, avec peine parce que j’avais
compté sur lui pour ramener notre école vers le coloris; mais il est impossible
qu’il ait assez de sciences pour avoir des imitateurs. Reynolds ne dessinait pas
mieux que lui ; mais il dessinait bien une tête et la peignait admirablement. Or
notre coloriste ne pourrait pas faire un portrait, surtout un portrait de femme ou
d’enfant. (Août 1827.)
L’année suivante, Delacroix envoie à Londres un de ses tableaux
qui y est fort admiré. Rochard s’empresse d’annoncer à son ami
ce succès qui semble redoubler la colère de Léonor Mérimée ; tout
en étant forcé de reconnaître les puissantes qualités du grand colo-
riste dans l’œuvre exposée en Angleterre, il se venge sur un autre
tableau de Delacroix, qui figurait au Salon de Paris :
Je ne suis pas surpris que le tableau de Lacroix ait du succès à Londres. Il y
a vraiment de la couleur dans ce tableau, et une entente générale d’effet qui
rappelle Paul Yéronèse; mais j’aurais été bien surpris si les amateurs des tableaux
de Wilkie avaient trouvé les détails de Lacroix assez terminés.
Vous n’avez pas vu le grand tableau qu’il a exposé. C’est une capilotade qui
n’a ni queue ni tête, et dans laquelle cependant il y a de la couleur; mais ce n’est
autre chose qu’une grande esquisse qui n’a pas le sens commun; quoiqu’il y ait des
prôneurs de cet ouvrage, je ne crois pas qu’il puisse pervertir notre École. Il fau-
drait, pour faire révolution, commencer par savoir imiter avec vérité au moins les
parties essentielles. Lorsque l’on voit le portrait de sir Thomas Lawrence, on l’excuse
de n’avoir pas rendu le velours, le rocher et le fond de ce tableau avec plus de
vérité, parce que l’on voit par la tête de l’enfant que le peintre pouvait mettre
dans tous les détails accessoires la même vérité qu’il a mise dans la tête.
(11 mars 1828.)