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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
deux. Il faut dire que dans l’intervalle de ces deux Salons, 1870
et 1872, s’étaient déroulées les funestes péripéties de l’année terrible
et que l’âme de Delaunay en avait été à la fois profondément ébranlée
et grandement fortifiée. Revenu, comme Baudry, à l’annonce du
siège, il avait pris le fusil de garde national, et n’avait quitté Paris,
durant la Commune, que pour aller retrouver, dans son pays, ses
vieux parents. L’esprit troublé par les malheurs publics, n’osant pas
remonter vers ses rêves d’art pur d’où la réalité brutale l’avait si
violemment précipité, il ne trouvait de consolation que dans une
étude assidue de la nature. Comme dans sa première jeunesse, il
s’était remis à faire des portraits de Nantais et de Nantaises, et, en se
retrouvant vis-à-vis de physionomies qui l’intéressaient, avec une
expérience plus consommée, il avait exécuté une série de chefs-
d’œuvre. L’un des plus aimables et des plus sérieux, celui de
Mlle Léchât, assise, comme la Yierge de Luini, devant un treillis
tapissé de verdures et de roses, figurait au Salon de 1870, à côté de
la Diane. Cette délicieuse apparition d’une figure à la fois si naïve et
si intelligente, si simplement jeune et belle, peinte avec la candeur
savante d’un vieux maître dans un style si naturel et si moderne, fit
presque tort à la fière déesse. A partir de ce moment, Delaunay fut
regardé comme un portraitiste hors ligne, et toutes les œuvres qu’il a
exposées depuis n’ont fait que consolider, sous ce rapport, sa juste
renommée.
Nous ne sommes pas en mesure de dresser actuellement la nomen-
clature complète des portraits de toute grandeur et de tout genre
que Delaunay a achevés ou ébauchés depuis 1870 jusqu’à sa mort.
L’extraordinaire variété de facture qu’il y déploie, modifiant son
style, son coloris, sa pâte, sa touche, suivant le tempérament, le
caractère, l’âme de la personne représentée, témoigne de sa conscience
intellectuelle autant que de son habileté technique. Aussi ne doit-on
pas s’étonner si, dans cette recherche acharnée de l’exactitude
physiologique et psychologique il trahit parfois l’effort d’une volonté
qui n’est point satisfaite, et si même il en a laissé tant d’autres à
l’état d’esquisses inquiètes, désespérant d’y fixer toutes les compli-
cations expressives d’allure, de traits, de physionomie, que son
analyse pénétrante démêlait si bien dans la réalité. Ce caractère
objectif des portraits de Delaunay, particulièrement marqué dans la
franchise intense de leur expression morale, leur donne une valeur
exceptionnelle dans un temps où la plupart des artistes, même les
plus distingués, procèdent d’une façon si différente, et songent bien
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deux. Il faut dire que dans l’intervalle de ces deux Salons, 1870
et 1872, s’étaient déroulées les funestes péripéties de l’année terrible
et que l’âme de Delaunay en avait été à la fois profondément ébranlée
et grandement fortifiée. Revenu, comme Baudry, à l’annonce du
siège, il avait pris le fusil de garde national, et n’avait quitté Paris,
durant la Commune, que pour aller retrouver, dans son pays, ses
vieux parents. L’esprit troublé par les malheurs publics, n’osant pas
remonter vers ses rêves d’art pur d’où la réalité brutale l’avait si
violemment précipité, il ne trouvait de consolation que dans une
étude assidue de la nature. Comme dans sa première jeunesse, il
s’était remis à faire des portraits de Nantais et de Nantaises, et, en se
retrouvant vis-à-vis de physionomies qui l’intéressaient, avec une
expérience plus consommée, il avait exécuté une série de chefs-
d’œuvre. L’un des plus aimables et des plus sérieux, celui de
Mlle Léchât, assise, comme la Yierge de Luini, devant un treillis
tapissé de verdures et de roses, figurait au Salon de 1870, à côté de
la Diane. Cette délicieuse apparition d’une figure à la fois si naïve et
si intelligente, si simplement jeune et belle, peinte avec la candeur
savante d’un vieux maître dans un style si naturel et si moderne, fit
presque tort à la fière déesse. A partir de ce moment, Delaunay fut
regardé comme un portraitiste hors ligne, et toutes les œuvres qu’il a
exposées depuis n’ont fait que consolider, sous ce rapport, sa juste
renommée.
Nous ne sommes pas en mesure de dresser actuellement la nomen-
clature complète des portraits de toute grandeur et de tout genre
que Delaunay a achevés ou ébauchés depuis 1870 jusqu’à sa mort.
L’extraordinaire variété de facture qu’il y déploie, modifiant son
style, son coloris, sa pâte, sa touche, suivant le tempérament, le
caractère, l’âme de la personne représentée, témoigne de sa conscience
intellectuelle autant que de son habileté technique. Aussi ne doit-on
pas s’étonner si, dans cette recherche acharnée de l’exactitude
physiologique et psychologique il trahit parfois l’effort d’une volonté
qui n’est point satisfaite, et si même il en a laissé tant d’autres à
l’état d’esquisses inquiètes, désespérant d’y fixer toutes les compli-
cations expressives d’allure, de traits, de physionomie, que son
analyse pénétrante démêlait si bien dans la réalité. Ce caractère
objectif des portraits de Delaunay, particulièrement marqué dans la
franchise intense de leur expression morale, leur donne une valeur
exceptionnelle dans un temps où la plupart des artistes, même les
plus distingués, procèdent d’une façon si différente, et songent bien
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