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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
plus à faire valoir, dans les portraits, leur propre personnalité, cons-
tante et extérieure de peintres, que la personnalité variable et intime
de leurs modèles. Entre le Portrait de Mme Bizet, sous ses vêtements
de deuil, affaissée, les yeux en larmes, dans un intérieur d’artiste,
d’un aspect si sombre et douloureux, et le Portrait de Mme Toulmouche \
en toilette d’été, souriante et fraîche, au milieu d’une campagne
aimable, d’un aspect si clair et si gai, qntre le Portrait de Mlle de Ganay,
si svelte, si mondain, si élégant, et les portraits de telle ou telle
bourgeoise maussade, de telle ou telle provinciale gauche, de telle ou
telle parvenue insolente, avec leurs visages rechignés, ridés ou fardés,
d’une signification toujours si précise, entre le Portrait du général
Mellinet, au visage balafré et couperosé, d’une touche si mâle et si
éclatante, une vraie touche militaire, et le Portrait de M. Legouvé., si
familier, au contraire, si avenant et si fin, d’un accent tout litté-
raire, qu’y a-t-il de commun, si ce n’est la science toujours renouvelée
de l’artiste, son aptitude à rendre avec une sensibilité extrême le
tempérament et l’esprit de son modèle, et la solidité résistante et
souple de ses dessous plastiques, quelle que soit la variété des enve-
loppes colorées dont il lui plaise de les revêtir? C’est, en effet, par.
la fermeté de leur structure interne, par la netteté résolue de leurs
allures individuelles que tous ces portraits portent également la
marque de leur auteur. Les apparences pittoresques et la facture
même de ces apparences varient, au contraire, à l’infini, suivant le
procédé dont l’artiste a fait choix, soit dans l’intention d’appliquer
à son modèle un système de traduction particulièrement convenable,
soit par le désir de s’approprier une façon de faire qui a déjà réussi à
d’autres maîtres. Dans sa conviction réfléchie que les ressources de
la peinture sont infinies et le champ de ses progrès illimité, Delaunay,
comme Baudry, ne cesse, jusqu’à la fin, d’étudier, avec un effort
visible d’assimilation, les variations de la technique aussi bien chez
les modernes que chez les anciens; s’il est tel de ses portraits qui fait
penser à Holbein, Clouet ou Yélasquez, il est tel autre où passe une
réminiscence plus récente de Millais, de Chaplin, de Manet, sans
qu’aucun d’eux, néanmoins, perde jamais, sous cette influence passa-
gère, ce caractère pénétrant que lui donnait l’extraordinaire
volonté, quelquefois laborieuse, tourmentée, insistante, mais toujours
si personnelle, du maître. L’exposition des portraits du siècle en 1884
et l’exposition universelle en 1889 qui ont établi, auprès du grand
1. Voir la gravure de M. Gaujean, Gazette, 3e pér., t. V, p. 198.
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plus à faire valoir, dans les portraits, leur propre personnalité, cons-
tante et extérieure de peintres, que la personnalité variable et intime
de leurs modèles. Entre le Portrait de Mme Bizet, sous ses vêtements
de deuil, affaissée, les yeux en larmes, dans un intérieur d’artiste,
d’un aspect si sombre et douloureux, et le Portrait de Mme Toulmouche \
en toilette d’été, souriante et fraîche, au milieu d’une campagne
aimable, d’un aspect si clair et si gai, qntre le Portrait de Mlle de Ganay,
si svelte, si mondain, si élégant, et les portraits de telle ou telle
bourgeoise maussade, de telle ou telle provinciale gauche, de telle ou
telle parvenue insolente, avec leurs visages rechignés, ridés ou fardés,
d’une signification toujours si précise, entre le Portrait du général
Mellinet, au visage balafré et couperosé, d’une touche si mâle et si
éclatante, une vraie touche militaire, et le Portrait de M. Legouvé., si
familier, au contraire, si avenant et si fin, d’un accent tout litté-
raire, qu’y a-t-il de commun, si ce n’est la science toujours renouvelée
de l’artiste, son aptitude à rendre avec une sensibilité extrême le
tempérament et l’esprit de son modèle, et la solidité résistante et
souple de ses dessous plastiques, quelle que soit la variété des enve-
loppes colorées dont il lui plaise de les revêtir? C’est, en effet, par.
la fermeté de leur structure interne, par la netteté résolue de leurs
allures individuelles que tous ces portraits portent également la
marque de leur auteur. Les apparences pittoresques et la facture
même de ces apparences varient, au contraire, à l’infini, suivant le
procédé dont l’artiste a fait choix, soit dans l’intention d’appliquer
à son modèle un système de traduction particulièrement convenable,
soit par le désir de s’approprier une façon de faire qui a déjà réussi à
d’autres maîtres. Dans sa conviction réfléchie que les ressources de
la peinture sont infinies et le champ de ses progrès illimité, Delaunay,
comme Baudry, ne cesse, jusqu’à la fin, d’étudier, avec un effort
visible d’assimilation, les variations de la technique aussi bien chez
les modernes que chez les anciens; s’il est tel de ses portraits qui fait
penser à Holbein, Clouet ou Yélasquez, il est tel autre où passe une
réminiscence plus récente de Millais, de Chaplin, de Manet, sans
qu’aucun d’eux, néanmoins, perde jamais, sous cette influence passa-
gère, ce caractère pénétrant que lui donnait l’extraordinaire
volonté, quelquefois laborieuse, tourmentée, insistante, mais toujours
si personnelle, du maître. L’exposition des portraits du siècle en 1884
et l’exposition universelle en 1889 qui ont établi, auprès du grand
1. Voir la gravure de M. Gaujean, Gazette, 3e pér., t. V, p. 198.