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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
qui a marqué sa véritable place dans l’histoire, tandis que les critiques précédents
attribuaient volontiers Y Autel Tucher à un peintre du xive siècle.
Les œuvres rangées sous le nom de Maître Berthold témoignent d’une influence
de Cologne et d’une influence italienne. Sous quelle influence s’est formé le style
du maître de YAutel Tucher? M. Thode aurait répondu à cette question mieux
encore qu'il ne Ta fait s’il ne s’était pas embarrassé de son Pfenning. Le tableau
de Pfenning porte la même devise que portent les tableaux de Jean Van Eyck :
mais que Pfenning ait connu ou non les maîtres flamands, le peintre de YAutel
Tucher les a certes toujours ignorés. Il a secoué tout à fait, aussi, l’influence de
Cologne ; mais je crois, en revanche, qu’il a étudié plus encore que ses prédécesseurs
les œuvres de l’École de Prague. Son Saint Augustin rappelle singulièrement les
têtes de saints du Bohême Théodoric, au Musée de Vienne; et ces formes courtes
et ramassées qu’il peint, et le réalisme de ses expressions, et sa façon même de
dessiner les plis des vêtements, ce sont autant de traits qui le rattachent à la pre-
mière école issue en Allemagne de l’art italien.
IV. En 1450 une révolution se produit dans l'École de Nuremberg. L’art nouveau
des Van Eyck et de Rogier Van der Veyden y pénètre, après avoir déjà pénétré à
Cologne et dans les pays rhénans. Désormais tous les peintres franconiens, qu’ils
fassent eux-mêmes le voyage des Flandres, ou qu’ils restent dans leur pays, prati-
quent les nouvelles méthodes, et en même temps imitent le style des Flamands,
tant pour le choix des sujets et leur composition que pour lé dessin et le coloris.
De 1450 à 1500 pas une œuvre de l’École dé Nuremberg n’échappe'à cette influence
flamande. Et c’est pour être tous plus ou moins inspirés de maîtres flamands que
tous les tableaux de cette époque ont été jusqu’à présent attribués à un même
peintre, Michel Wolgemutiî. 11 ne s’agissait plus maintenant que de démêler, parmi
ces tableaux des groupes d’œuvres semblables, et de classer autant que possible
ces groupes divers suivant leur succession chronologique. C’était la partie la plus
difficile de l’entreprise de M. Thode : c’est celle où il a le plus heureusement
réussi.
Dans un article déjà assez ancien sur les Peintres "primitifs allemands, publié
dans la Revue des Deux-Mondes, j’avais dit mon étonnement de la diversité des
œuvres attribuées à Wolgemuth, et indiqué un premier classement qui me parais-
sait s’imposer. A un peintre élève de Rogier Van der Weydén, mais encore tout
imprégné des vieilles traditions nationales, j’avais attribué la grande Crucifixion
du Musée de Munich et une autre grande Crucifixion du Musée de Nuremberg;
j’avais attribué à un peintre plus jeune, sans doute élève du précédent, les tableaux
du Musée de Munich, en particulier une Crucifixion et une Descente de Croix, qui
formaient autrefois YAutel de Hof ; enfin les tableaux, plus petits et traités plus
minutieusement, de YAutel Peringsdorfer, au Musée de Nuremberg, m’avaient paru
provenir d’un troisième peintre, élève des deux autres, mais soumis aussi à
l’influence des nouveaux maîtres flamands et hollandais, en particulier de Thierry
Bouts. Cette classification se retrouve dans le livre de M. Thode, à peu près entière-
ment telle que je l’avais donnée : je n’avais pas eu d’ailleurs grand mérite à la
donner, car elle était évidente, elle apparaissait à quiconque voulait prendre la
peine de regarder. L’essenlicl était de l’appuyer sur des preuves précises, de
rattacher à ces trois groupes de peinturés les diverses peintures d’ordre secon-
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qui a marqué sa véritable place dans l’histoire, tandis que les critiques précédents
attribuaient volontiers Y Autel Tucher à un peintre du xive siècle.
Les œuvres rangées sous le nom de Maître Berthold témoignent d’une influence
de Cologne et d’une influence italienne. Sous quelle influence s’est formé le style
du maître de YAutel Tucher? M. Thode aurait répondu à cette question mieux
encore qu'il ne Ta fait s’il ne s’était pas embarrassé de son Pfenning. Le tableau
de Pfenning porte la même devise que portent les tableaux de Jean Van Eyck :
mais que Pfenning ait connu ou non les maîtres flamands, le peintre de YAutel
Tucher les a certes toujours ignorés. Il a secoué tout à fait, aussi, l’influence de
Cologne ; mais je crois, en revanche, qu’il a étudié plus encore que ses prédécesseurs
les œuvres de l’École de Prague. Son Saint Augustin rappelle singulièrement les
têtes de saints du Bohême Théodoric, au Musée de Vienne; et ces formes courtes
et ramassées qu’il peint, et le réalisme de ses expressions, et sa façon même de
dessiner les plis des vêtements, ce sont autant de traits qui le rattachent à la pre-
mière école issue en Allemagne de l’art italien.
IV. En 1450 une révolution se produit dans l'École de Nuremberg. L’art nouveau
des Van Eyck et de Rogier Van der Veyden y pénètre, après avoir déjà pénétré à
Cologne et dans les pays rhénans. Désormais tous les peintres franconiens, qu’ils
fassent eux-mêmes le voyage des Flandres, ou qu’ils restent dans leur pays, prati-
quent les nouvelles méthodes, et en même temps imitent le style des Flamands,
tant pour le choix des sujets et leur composition que pour lé dessin et le coloris.
De 1450 à 1500 pas une œuvre de l’École dé Nuremberg n’échappe'à cette influence
flamande. Et c’est pour être tous plus ou moins inspirés de maîtres flamands que
tous les tableaux de cette époque ont été jusqu’à présent attribués à un même
peintre, Michel Wolgemutiî. 11 ne s’agissait plus maintenant que de démêler, parmi
ces tableaux des groupes d’œuvres semblables, et de classer autant que possible
ces groupes divers suivant leur succession chronologique. C’était la partie la plus
difficile de l’entreprise de M. Thode : c’est celle où il a le plus heureusement
réussi.
Dans un article déjà assez ancien sur les Peintres "primitifs allemands, publié
dans la Revue des Deux-Mondes, j’avais dit mon étonnement de la diversité des
œuvres attribuées à Wolgemuth, et indiqué un premier classement qui me parais-
sait s’imposer. A un peintre élève de Rogier Van der Weydén, mais encore tout
imprégné des vieilles traditions nationales, j’avais attribué la grande Crucifixion
du Musée de Munich et une autre grande Crucifixion du Musée de Nuremberg;
j’avais attribué à un peintre plus jeune, sans doute élève du précédent, les tableaux
du Musée de Munich, en particulier une Crucifixion et une Descente de Croix, qui
formaient autrefois YAutel de Hof ; enfin les tableaux, plus petits et traités plus
minutieusement, de YAutel Peringsdorfer, au Musée de Nuremberg, m’avaient paru
provenir d’un troisième peintre, élève des deux autres, mais soumis aussi à
l’influence des nouveaux maîtres flamands et hollandais, en particulier de Thierry
Bouts. Cette classification se retrouve dans le livre de M. Thode, à peu près entière-
ment telle que je l’avais donnée : je n’avais pas eu d’ailleurs grand mérite à la
donner, car elle était évidente, elle apparaissait à quiconque voulait prendre la
peine de regarder. L’essenlicl était de l’appuyer sur des preuves précises, de
rattacher à ces trois groupes de peinturés les diverses peintures d’ordre secon-