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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
chef-d’œuvre, fut la dernière toile que Philippe IV obtint directement
de lui : elle justifiait pleinement l’enthousiasme du jeune cardinal.
On lui doit de savoir qu’Hélène Fourment, « la plus belle personne
d’Anvers », a posé pour Vénus, et si quelque réserve se mêle à ses
éloges, elle procède de l’étalage complaisant des belles formes des
habitantes de l’Olympe, chose que Rubens refusa formellement de
modifier, se souvenant très probablement que le roi, sur ce chapitre,
était moins rigoriste que son frère.
Sachons-lui gré d’avoir fait prévaloir les exigences de l’art sur
fe purisme de son pieux critique. Le Jugement de Paris est assurément
line des expressions suprêmes de son génie. Loin d’attester aucun
affaissement sénile, il se caractérise par une fraîcheur d’opération
sans pareille. Rubens y est tout ensemble le plus grand coloriste et
je plus exercé des praticiens, et s’il n’a point cherché à rivaliser
dans Informe avec le ciseau des statuaires de l’Antiquité, en revanche
sa composition, par l’ensemble et le style, est digne d’être comparée à
leurs plus beaux bas-reliefs. On ne saurait rien voir de plus délicieux
que Paris dans son extase, de plus aimablement engageant que
Mercure.
Ainsi donc, par une heureuse rencontre, le Prado nous permet
d’étudier en un même sujet le commencement et la fin du grand
peintre, l’alpha et l’oméga de sa glorieuse carrière, telle du moins
qu'on peut l’embrasser pour le moment.
Observons en passant que le licencié J.-F. Michel se trompe en
désignant ce tableau, qu’il n'avait jamais vu, comme étant celui gravé
par Lommelin. Ce dernier nous a traduit le tableau actuellement cà
Londres.
Philippe IV, faute d’avoir vu se réaliser les plans conçus avec
l’aide de Rubens pour la décoration de ses palais, se montra plus
avide de posséder une partie des œuvres délaissées par le grand
artiste. Ses émissaires eurent la main heureuse et parmi les toiles que,
par un droit assez légitime de préemption, put se faire attribuer le
roi d’Espagne, figuraient non point celles dont Rubens n’avait pu
trouver le placement, mais des pages dont jamais il n’avait voulu
se séparer et qui, aujourd’hui même, figurent parmi les trésors du
Prado. Il suffira pour légitimer ce titre de mentionner le Portrait de
Marie de Médias et le Jardin d'Amour. On sait, au moins par ouï dire,
à quel degré leur splendeur rehausse le salon d’Isabelle.
Ce délicieux portrait de Marie de Médicis supposé avoir été peint
a Paris, bien qu’il ait du fort bien l’être à Anvers ou à Bruxelles,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
chef-d’œuvre, fut la dernière toile que Philippe IV obtint directement
de lui : elle justifiait pleinement l’enthousiasme du jeune cardinal.
On lui doit de savoir qu’Hélène Fourment, « la plus belle personne
d’Anvers », a posé pour Vénus, et si quelque réserve se mêle à ses
éloges, elle procède de l’étalage complaisant des belles formes des
habitantes de l’Olympe, chose que Rubens refusa formellement de
modifier, se souvenant très probablement que le roi, sur ce chapitre,
était moins rigoriste que son frère.
Sachons-lui gré d’avoir fait prévaloir les exigences de l’art sur
fe purisme de son pieux critique. Le Jugement de Paris est assurément
line des expressions suprêmes de son génie. Loin d’attester aucun
affaissement sénile, il se caractérise par une fraîcheur d’opération
sans pareille. Rubens y est tout ensemble le plus grand coloriste et
je plus exercé des praticiens, et s’il n’a point cherché à rivaliser
dans Informe avec le ciseau des statuaires de l’Antiquité, en revanche
sa composition, par l’ensemble et le style, est digne d’être comparée à
leurs plus beaux bas-reliefs. On ne saurait rien voir de plus délicieux
que Paris dans son extase, de plus aimablement engageant que
Mercure.
Ainsi donc, par une heureuse rencontre, le Prado nous permet
d’étudier en un même sujet le commencement et la fin du grand
peintre, l’alpha et l’oméga de sa glorieuse carrière, telle du moins
qu'on peut l’embrasser pour le moment.
Observons en passant que le licencié J.-F. Michel se trompe en
désignant ce tableau, qu’il n'avait jamais vu, comme étant celui gravé
par Lommelin. Ce dernier nous a traduit le tableau actuellement cà
Londres.
Philippe IV, faute d’avoir vu se réaliser les plans conçus avec
l’aide de Rubens pour la décoration de ses palais, se montra plus
avide de posséder une partie des œuvres délaissées par le grand
artiste. Ses émissaires eurent la main heureuse et parmi les toiles que,
par un droit assez légitime de préemption, put se faire attribuer le
roi d’Espagne, figuraient non point celles dont Rubens n’avait pu
trouver le placement, mais des pages dont jamais il n’avait voulu
se séparer et qui, aujourd’hui même, figurent parmi les trésors du
Prado. Il suffira pour légitimer ce titre de mentionner le Portrait de
Marie de Médias et le Jardin d'Amour. On sait, au moins par ouï dire,
à quel degré leur splendeur rehausse le salon d’Isabelle.
Ce délicieux portrait de Marie de Médicis supposé avoir été peint
a Paris, bien qu’il ait du fort bien l’être à Anvers ou à Bruxelles,