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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
un morceau de tableau qui perd en sincérité ce qu’il gagne en com-
position. Que ne donnerait-on pour avoir une de ces études de David
■où l’on peut se fier absolument, qui procurent la certitude parce que
la nature y crie! Pourtant, bien que le maître ait ici amolli l’expres-
sion générale du visage, qu’il lui ait donné un air de méditation
mélancolique, inhabituel, et qu’il ait sûrement arrondi les lignes, les
traits présentent sur les portraits de Gros et d’Appiani un enforcisse-
ment tel que le peintre n'a pu l’inventer, et cet enforcissement se
constate encore dans un petit dessin de Dutertre, l’un des plus
curieux de cette série si réaliste des portraits des savants et des
généraux de l’armée d’Egypte. De cette suite, il ne faut retenir que
les eaux-fortes, non les pièces terminées et gâchées plus tard. Or,
dans l’eau-forte, Bonaparte apparaît plus grave, peut-on dire, qu’en
Italie. La face est plus garnie, les joues moins creuses, le menton
volontaire plus plein. Il résulte de ce profil une impression de calme,
d’assurance, de certitude, qui ne ressort d’aucun des profils déjà vus.
On dirait que, au général hardi et, d’obligation, risque-tout, a succédé
le législateur pondéré qui, sur ses traits, a imprimé quelque chose de
la gravité sereine des Orientaux.
De l’Égypte, presque rien. Le croquis de Dutertre est du début de
la campagne, peut-être du voyage ; les cheveux sont encore longs et
flottants. De portrait en Égypte avec les cheveux coupés, nul qui
vaille; à peine une légère eau-forte de Denon et, dans les archi-
tectures, quelque amusante silhouette que plaquent les dessinateurs
de l’expédition pour y donner un peu de mouvement. Il faut, pour
trouver l’aspect nouveau de la figure de Bonaparte, en venir aux
portraits exécutés à Paris, après Brumaire. Les cheveux coupés
court à présent sur les faces, dégagent peu à peu les tempes, les
oreilles, et le cou, et font mieux paraître ce remontement des
épaules, si caractérisé pendant le Consulat, dont les artistes tien-
nent plus de compte alors parce qu’ils sont plus sincères et moins
officiels. Par derrière, les cheveux sont encore longs, mordent sur le
collet, comme on peut le voir sur un petit buste d’une qualité rare
dont le moule est conservé à la Manufacture de Sèvres, dans un
curieux petit portrait de Châtaignier, dans le beau tableau d’Appiani,
dans le dessin de Bouillon et meme dans la gravure en couleurs de
Levachez d’après Boilly. Ces cheveux donnent à la tête, vue en profil
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
un morceau de tableau qui perd en sincérité ce qu’il gagne en com-
position. Que ne donnerait-on pour avoir une de ces études de David
■où l’on peut se fier absolument, qui procurent la certitude parce que
la nature y crie! Pourtant, bien que le maître ait ici amolli l’expres-
sion générale du visage, qu’il lui ait donné un air de méditation
mélancolique, inhabituel, et qu’il ait sûrement arrondi les lignes, les
traits présentent sur les portraits de Gros et d’Appiani un enforcisse-
ment tel que le peintre n'a pu l’inventer, et cet enforcissement se
constate encore dans un petit dessin de Dutertre, l’un des plus
curieux de cette série si réaliste des portraits des savants et des
généraux de l’armée d’Egypte. De cette suite, il ne faut retenir que
les eaux-fortes, non les pièces terminées et gâchées plus tard. Or,
dans l’eau-forte, Bonaparte apparaît plus grave, peut-on dire, qu’en
Italie. La face est plus garnie, les joues moins creuses, le menton
volontaire plus plein. Il résulte de ce profil une impression de calme,
d’assurance, de certitude, qui ne ressort d’aucun des profils déjà vus.
On dirait que, au général hardi et, d’obligation, risque-tout, a succédé
le législateur pondéré qui, sur ses traits, a imprimé quelque chose de
la gravité sereine des Orientaux.
De l’Égypte, presque rien. Le croquis de Dutertre est du début de
la campagne, peut-être du voyage ; les cheveux sont encore longs et
flottants. De portrait en Égypte avec les cheveux coupés, nul qui
vaille; à peine une légère eau-forte de Denon et, dans les archi-
tectures, quelque amusante silhouette que plaquent les dessinateurs
de l’expédition pour y donner un peu de mouvement. Il faut, pour
trouver l’aspect nouveau de la figure de Bonaparte, en venir aux
portraits exécutés à Paris, après Brumaire. Les cheveux coupés
court à présent sur les faces, dégagent peu à peu les tempes, les
oreilles, et le cou, et font mieux paraître ce remontement des
épaules, si caractérisé pendant le Consulat, dont les artistes tien-
nent plus de compte alors parce qu’ils sont plus sincères et moins
officiels. Par derrière, les cheveux sont encore longs, mordent sur le
collet, comme on peut le voir sur un petit buste d’une qualité rare
dont le moule est conservé à la Manufacture de Sèvres, dans un
curieux petit portrait de Châtaignier, dans le beau tableau d’Appiani,
dans le dessin de Bouillon et meme dans la gravure en couleurs de
Levachez d’après Boilly. Ces cheveux donnent à la tête, vue en profil