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GAZETTE DES BEAUX-A11TS.
fait l’observation, et désormais, dans tous les portraits plus ou moins
officiels, on verra peu à peu les épaules s’abaisser jusqu’à devenir
tombantes comme dans les statues antiques, mais lorsque dans ses
campagnes l’Empereur rencontrera sur sa route, à l'étranger, quel-
que dessinateur sincère, et lorsque à Sainte-Hélène des officiers anglais
essayeront de croquer sa silhouette, toujours on verra reparaître ces
épaules remontées qu’Isabey lui avait données et qui, chez certains de
sa race, chez le roi Jérôme et le prince Napoléon, par exemple,
étaient si marquées. Peut-être, au point de vue de la beauté classique,
doit-on les critiquer; en fait, elles ajoutent à la puissance de la tète
une impression de force et donnent à tout le corps une étrange dignité.
A la fin du Consulat, le front se dégarnit, l’embonpoint com-
mence. Dans le portrait de Robert Lefèvre, magistralement gravé par
Aug. Desnoyers, surtout dans le portrait de Gérard, gravé par
Richomme et par Bazin, dont l’original appartient au duc d’Aumale
et dont l’étude d’après nature a été reproduite dans la Gazette des
Beaux-Arts1 grâce à l’obligeance du baron Gérard, on peut suivre
cette transformation qu’amènent l’àge et la santé. Qu’on compare
ce dessin de Gérard aux portraits antérieurs : certes, il y a ici
do l’officiel; la hauteur des épaules, surtout visible quand le
Consul se présente de profil et plus encore de profil perdu, est
supprimée ou du moins singulièrement atténuée; mais, dans la
figure, point de trait qui soit embelli : on ne peut toucher au dessin
de cette bouche, on ne peut changer la direction de ce nez; si le
bec d’aigle se fait moins sentir, c’est qu’ici Napoléon se présente
de face, mais toute la flatterie, c’est la pose de la tète. Qu’on
prenne le portrait au crayon d’.lsabey, le Bonaparte à la Malmaison,
où la tète perd en puissance, parce que le front est couvert, que
le chapeau tire l’attention, que la stature générale sollicite la vue : ce
sont bien identiquement les mêmes traits, et l’enjolivement, déjà
visible pour le corps, est insignifiant pour le visage.
On peut donc suivre, d’une façon pour ainsi dire mathématique, la
physionomie de Napoléon depuis la première campagne d’Italie jus-
qu’à la fin du Consulat; mais, à partir de la proclamation de l'Em-
pire, on ne saurait plus, ni dans les portraits, ni dans les bustes,
retrouver la sincérité qui importe à la curiosité de l’histoire. Les
œuvres originales et personnelles, si nombreuses quelques mois
auparavant, si recommandables par leur accent de vérité, se font à
1. Voir Gazette, 3e per., t. V, p. 01.
GAZETTE DES BEAUX-A11TS.
fait l’observation, et désormais, dans tous les portraits plus ou moins
officiels, on verra peu à peu les épaules s’abaisser jusqu’à devenir
tombantes comme dans les statues antiques, mais lorsque dans ses
campagnes l’Empereur rencontrera sur sa route, à l'étranger, quel-
que dessinateur sincère, et lorsque à Sainte-Hélène des officiers anglais
essayeront de croquer sa silhouette, toujours on verra reparaître ces
épaules remontées qu’Isabey lui avait données et qui, chez certains de
sa race, chez le roi Jérôme et le prince Napoléon, par exemple,
étaient si marquées. Peut-être, au point de vue de la beauté classique,
doit-on les critiquer; en fait, elles ajoutent à la puissance de la tète
une impression de force et donnent à tout le corps une étrange dignité.
A la fin du Consulat, le front se dégarnit, l’embonpoint com-
mence. Dans le portrait de Robert Lefèvre, magistralement gravé par
Aug. Desnoyers, surtout dans le portrait de Gérard, gravé par
Richomme et par Bazin, dont l’original appartient au duc d’Aumale
et dont l’étude d’après nature a été reproduite dans la Gazette des
Beaux-Arts1 grâce à l’obligeance du baron Gérard, on peut suivre
cette transformation qu’amènent l’àge et la santé. Qu’on compare
ce dessin de Gérard aux portraits antérieurs : certes, il y a ici
do l’officiel; la hauteur des épaules, surtout visible quand le
Consul se présente de profil et plus encore de profil perdu, est
supprimée ou du moins singulièrement atténuée; mais, dans la
figure, point de trait qui soit embelli : on ne peut toucher au dessin
de cette bouche, on ne peut changer la direction de ce nez; si le
bec d’aigle se fait moins sentir, c’est qu’ici Napoléon se présente
de face, mais toute la flatterie, c’est la pose de la tète. Qu’on
prenne le portrait au crayon d’.lsabey, le Bonaparte à la Malmaison,
où la tète perd en puissance, parce que le front est couvert, que
le chapeau tire l’attention, que la stature générale sollicite la vue : ce
sont bien identiquement les mêmes traits, et l’enjolivement, déjà
visible pour le corps, est insignifiant pour le visage.
On peut donc suivre, d’une façon pour ainsi dire mathématique, la
physionomie de Napoléon depuis la première campagne d’Italie jus-
qu’à la fin du Consulat; mais, à partir de la proclamation de l'Em-
pire, on ne saurait plus, ni dans les portraits, ni dans les bustes,
retrouver la sincérité qui importe à la curiosité de l’histoire. Les
œuvres originales et personnelles, si nombreuses quelques mois
auparavant, si recommandables par leur accent de vérité, se font à
1. Voir Gazette, 3e per., t. V, p. 01.