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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
vous signaler. Mais ce sont des ouvrages dont je connaissais déjà les
équivalents; avec tous leurs mérites, ils ne m’apprenaient rien de
nouveau; et je n’avais pas besoin de les connaître pour savoir qu’il
reste encore, en France et dans les autres pays, de remarquables
artistes. Ce que je n’ai pu découvrir, dans ces expositions, et malgré
de nombreuses et patientes visites, ce sont des tendances communes,
des mouvements collectifs, et point davantage des méthodes nouvelles,
ni même de nouveaux talents. Où en est aujourd’hui la peinture, ce
qu’elle cherche et ce qu’elle évite, d’où elle vient et où elle va, je
croyais le savoir avant d’entrer au Salon; mais j’avoue qu’à cette
heure je n’en sais plus rien. Tout au plus il m’a semblé apercevoir
çà et là, à peine distincts encore, les premiers indices d’une petite
révolution que j’attendais depuis longtemps, et qui ne peut manquer,
en effet, de se produire aux Salons prochains.
Vous rappelez-vous, dans le roman de Flaubert, les touchantes
mésaventures de Bouvard et de Pécuchet? C’étaient deux scribes,
qui avaient passé quarante ans de leur vie à copier des écritures,
ayant la main fort habile et l’esprit un peu lourd. Un beau matin
ils se réveillèrent avec une fortune : alors, lâchant la copie, ils
résolurent de s’initier en commun à tous les secrets de la science et
des arts. Tour à tour ils approfondirent la chimie, la biologie, la
grammaire et l’astronomie : ils furent agriculteurs, médecins, poli-
ticiens, pédagogues; à toutes choses ils s’employaient avec un sérieux,
une conscience admirables, et chaque fois leurs voisins eurent le
droit de s’attendre à les voir réussir. Mais en fin de compte ils
échouèrent dans chacune de leurs entreprises. Et Dieu sait à quelle
catastrophe ils auraient abouti, s’ils n’avaient eu enfin l’heureuse
idée de renoncer à tous leurs projets, pour se remettre simplement
à copier des écritures.
Ou je me trompe fort, ou la situation présente de nos peintres
ressemble exactement à celle de ces deux bonshommes. Depuis
cinquante ans, les peintres ont tout cherché, et chaque fois le public
a pu croire qu'ils allaient trouver quelque chose. Tour à tour, depuis
cinquante ans, la peinture s’est essayée à cent styles nouveaux. Un
moment elle a été romantique, avec des éclats furieux de mouvement
et de coloris. Puis nous avons eu l’école des paysagistes, un art tout
de finesse et de nuances subtiles. Nous nous sommes ensuite intéressés
au réalisme; Courbet et Millet nous ont paru les vrais précurseurs.
Et, quelques années après, il nous a semblé que c’était l’impression-
nisme, avec son plein-air, qui allait devenir définitivement le style des
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
vous signaler. Mais ce sont des ouvrages dont je connaissais déjà les
équivalents; avec tous leurs mérites, ils ne m’apprenaient rien de
nouveau; et je n’avais pas besoin de les connaître pour savoir qu’il
reste encore, en France et dans les autres pays, de remarquables
artistes. Ce que je n’ai pu découvrir, dans ces expositions, et malgré
de nombreuses et patientes visites, ce sont des tendances communes,
des mouvements collectifs, et point davantage des méthodes nouvelles,
ni même de nouveaux talents. Où en est aujourd’hui la peinture, ce
qu’elle cherche et ce qu’elle évite, d’où elle vient et où elle va, je
croyais le savoir avant d’entrer au Salon; mais j’avoue qu’à cette
heure je n’en sais plus rien. Tout au plus il m’a semblé apercevoir
çà et là, à peine distincts encore, les premiers indices d’une petite
révolution que j’attendais depuis longtemps, et qui ne peut manquer,
en effet, de se produire aux Salons prochains.
Vous rappelez-vous, dans le roman de Flaubert, les touchantes
mésaventures de Bouvard et de Pécuchet? C’étaient deux scribes,
qui avaient passé quarante ans de leur vie à copier des écritures,
ayant la main fort habile et l’esprit un peu lourd. Un beau matin
ils se réveillèrent avec une fortune : alors, lâchant la copie, ils
résolurent de s’initier en commun à tous les secrets de la science et
des arts. Tour à tour ils approfondirent la chimie, la biologie, la
grammaire et l’astronomie : ils furent agriculteurs, médecins, poli-
ticiens, pédagogues; à toutes choses ils s’employaient avec un sérieux,
une conscience admirables, et chaque fois leurs voisins eurent le
droit de s’attendre à les voir réussir. Mais en fin de compte ils
échouèrent dans chacune de leurs entreprises. Et Dieu sait à quelle
catastrophe ils auraient abouti, s’ils n’avaient eu enfin l’heureuse
idée de renoncer à tous leurs projets, pour se remettre simplement
à copier des écritures.
Ou je me trompe fort, ou la situation présente de nos peintres
ressemble exactement à celle de ces deux bonshommes. Depuis
cinquante ans, les peintres ont tout cherché, et chaque fois le public
a pu croire qu'ils allaient trouver quelque chose. Tour à tour, depuis
cinquante ans, la peinture s’est essayée à cent styles nouveaux. Un
moment elle a été romantique, avec des éclats furieux de mouvement
et de coloris. Puis nous avons eu l’école des paysagistes, un art tout
de finesse et de nuances subtiles. Nous nous sommes ensuite intéressés
au réalisme; Courbet et Millet nous ont paru les vrais précurseurs.
Et, quelques années après, il nous a semblé que c’était l’impression-
nisme, avec son plein-air, qui allait devenir définitivement le style des