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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
entré, tout le monde se trouve avoir aussitôt la même foi, le même
amour. Et cela provient tout simplement de ce que c’est uniquement
aussi à un sentiment de piété qu’ont obéi les organisateurs de l’expo-
sition, et de la piété la plus légitime en même temps que la plus tou-
chante, et la plus sûre de trouver un écho dans toutes les âmes.
On dit souvent qu’il faut des siècles à une légende pour se
constituer. Cela ne me paraît pas tout à fait vrai. Les siècles peuvent
bien agrandir, transformer, simplifier ou embrumer les légendes,
mais c’est tout de suite qu’elles se forment, dans l’âme même des
contemporains. On connaît le mot du maréchal de Brissac, gouverneur
de Paris, à la jeune Dauphine extasiée de l'enthousiasme du peuple à
lui faire accueil lors de son entrée à Paris : «Madame, lui disait-il, vous
avez là sous les yeux deux cent mille amoureux de vous. » Ce pauvre
peuple, vingt ans plus tard, dans une période de démence terrible,
devait oublier, pour le malheur de la Reine, le bel amour qu’il avait
témoigné un jour à l’aimable Dauphine; mais il revint d’autant plus
vite sur son propre jugement, que les faits étaient irrémédiables; et
la cruauté de ses pères, le peuple de France l’expie maintenant par
le culte qu’il a voué à la mémoire de la Reine, sortie purifiée de l’infor-
tune; et il n’y a peut-être plus aujourd’hui un seul Français, même
parmi ceux qui se réclament de la Révolution, qui ne soit devenu
« un amoureux » du souvenir de Marie-Antoinette.
C’est souvent dans les lieux où ils ont vécu qu’on se sent le plus
en disposition d’évoquer le souvenir des morts. Si cette exposition
avait été possible à Versailles, àTrianon, c’est là évidemment que tous
nous aurions voulu la voir réalisée. J’ai souvent pensé, quand je visitais
les petits appartements de Marie-Antoinette au Musée de Versailles,
ou les salles, et le parc, et les petites chaumières de Trianon, accom-
pagné de ces bons guides dont la voix rude s’adoucit pour expliquer
aux visiteurs quels souvenirs particuliers doivent éveiller telle pièce
ou tel objet, — j’ai souvent pensé, dis-je, qu’il était fort heureux
qu’une Restauration de la vieille royauté ait succédé à notre Révo-
lution, car c’est cela qui a permis de constituer tout de suite, et avant
qu’il fût trop tard, une légende de Marie-Antoinette, d’établir par
des rappels matériels et visibles, une « tradition » de sa vie, que nous
n’oublierons plus maintenant. C’est toujours à des points de vue
comme celui-là que je me place pour juger des événements politiques,
et j’accorderai si l’on veut que ce n’est peut-être pas là de bien
profonde politique, mais enfin c’est ma politique à moi, et, quoi qu’on
en puisse penser, je la préfère à toute autre. A défaut de Versailles ou
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
entré, tout le monde se trouve avoir aussitôt la même foi, le même
amour. Et cela provient tout simplement de ce que c’est uniquement
aussi à un sentiment de piété qu’ont obéi les organisateurs de l’expo-
sition, et de la piété la plus légitime en même temps que la plus tou-
chante, et la plus sûre de trouver un écho dans toutes les âmes.
On dit souvent qu’il faut des siècles à une légende pour se
constituer. Cela ne me paraît pas tout à fait vrai. Les siècles peuvent
bien agrandir, transformer, simplifier ou embrumer les légendes,
mais c’est tout de suite qu’elles se forment, dans l’âme même des
contemporains. On connaît le mot du maréchal de Brissac, gouverneur
de Paris, à la jeune Dauphine extasiée de l'enthousiasme du peuple à
lui faire accueil lors de son entrée à Paris : «Madame, lui disait-il, vous
avez là sous les yeux deux cent mille amoureux de vous. » Ce pauvre
peuple, vingt ans plus tard, dans une période de démence terrible,
devait oublier, pour le malheur de la Reine, le bel amour qu’il avait
témoigné un jour à l’aimable Dauphine; mais il revint d’autant plus
vite sur son propre jugement, que les faits étaient irrémédiables; et
la cruauté de ses pères, le peuple de France l’expie maintenant par
le culte qu’il a voué à la mémoire de la Reine, sortie purifiée de l’infor-
tune; et il n’y a peut-être plus aujourd’hui un seul Français, même
parmi ceux qui se réclament de la Révolution, qui ne soit devenu
« un amoureux » du souvenir de Marie-Antoinette.
C’est souvent dans les lieux où ils ont vécu qu’on se sent le plus
en disposition d’évoquer le souvenir des morts. Si cette exposition
avait été possible à Versailles, àTrianon, c’est là évidemment que tous
nous aurions voulu la voir réalisée. J’ai souvent pensé, quand je visitais
les petits appartements de Marie-Antoinette au Musée de Versailles,
ou les salles, et le parc, et les petites chaumières de Trianon, accom-
pagné de ces bons guides dont la voix rude s’adoucit pour expliquer
aux visiteurs quels souvenirs particuliers doivent éveiller telle pièce
ou tel objet, — j’ai souvent pensé, dis-je, qu’il était fort heureux
qu’une Restauration de la vieille royauté ait succédé à notre Révo-
lution, car c’est cela qui a permis de constituer tout de suite, et avant
qu’il fût trop tard, une légende de Marie-Antoinette, d’établir par
des rappels matériels et visibles, une « tradition » de sa vie, que nous
n’oublierons plus maintenant. C’est toujours à des points de vue
comme celui-là que je me place pour juger des événements politiques,
et j’accorderai si l’on veut que ce n’est peut-être pas là de bien
profonde politique, mais enfin c’est ma politique à moi, et, quoi qu’on
en puisse penser, je la préfère à toute autre. A défaut de Versailles ou