DOI Heft:
Nr. 5
DOI Artikel:Réau, Louis: La galerie de tableaux de l'Ermitage et la collection Semenov, 1
DOI Seite / Zitierlink: https://doi.org/10.11588/diglit.24885#0420
LA GALERIE DE TABLEAUX DE L’ERMITAGE
395
où Poussin situe ses visions antiques, n’a été plus noblement sty-
lisée.
Claude Lorrain, génie moins vaste que Poussin, s’intéresse moins
aux hommes qu’à la nature. Il a peint exclusivement des paysages
que, pour complaire au goût du temps, d’humbles collaborateurs,
Filippo Lauri ou Jan Miel, « étoffaient » après coup de menues figu-
rines. L’Ermitage en possède douze qui rentrent pour la plupart
dans la série classique des Ports de mer dont Joseph Yernet devait
s’inspirer au xvme siècle. Mais l’admirable cycle des Quatre Heures
du jour les surpasse de beaucoup par le rythme des lignes et le charme
musical du coloris. Cette « suite », exécutée de 1667 à 1672, passa par
la galerie de Cassel et la Malmaison avant de devenir Lune des plus
nobles parures de l’Ermitage. Ce poème de la journée glorifie en
quatre chants le lever de l'aurore, le flamboiement de midi, l’apo-
théose du soleil couchant et la tombée de la nuit1.
Par réaction contre la gravité solennelle de Poussin et de Claude
Lorrain et surtout contre lagrandiloquence pompeuse de Le Brun, le
xvnie siècle revient à un art moins guindé, plus gracieux et plus sen-
suel. L’influence des coloristes flamands et, en particulier, de Rubens
vient faire contrepoids à l’académisme des Bolonais. C’est ce qu’on
peut très bien discerner dans les œuvres de jeunesse de Watteau
conservées à l’Ermitage : le Savoyard à la marmotte2 et trois petites
scènes de la vie militaire : les Fatigues de la guerre, les Délassements
de guerre et le Camp volant, peintes par l’artiste pendant son séjour
à Valenciennes. Si la Proposition embarrassante et la Femme polo-
naise sont loin de représenter aussi complètement le « peintre des
Fêtes galantes » que les chefs-d’œuvre de Berlin et de Potsdam, l’Er-
mitage possède en revanche un très bon exemplaire des types de la
Comédie italienne dans le Mezzetin vêtu de rose qui joue mélancoli-
quement de la guitare dans un jardin.
Pater et Lancret, les « singes de Watteau », ont vulgarisé et
parfois même encanaillé les poétiques imaginations de ce génie
voluptueux et amer; mais ils évoquent à merveille la grâce sensuelle
du xvme siècle. Rien de plus frais que Y Eté de Lancret, simple pré- 1 2
1. La galerie Youssoupov possède cinq paysages de Claude Lorrain qui riva-
lisent de beauté grave avec ceux de l’Ermitage, le Coucher du soleil dans un port
de mer, le Malin de Rome et le Soir de Rome, et surtout l'Enlèvement d’Europe
(1652) et le Combat sur un pont (1655).
2. Une étude à la sanguine du Savoyard se trouve à Paris, au Petit-Palais,
dans la collection Dutuit.
395
où Poussin situe ses visions antiques, n’a été plus noblement sty-
lisée.
Claude Lorrain, génie moins vaste que Poussin, s’intéresse moins
aux hommes qu’à la nature. Il a peint exclusivement des paysages
que, pour complaire au goût du temps, d’humbles collaborateurs,
Filippo Lauri ou Jan Miel, « étoffaient » après coup de menues figu-
rines. L’Ermitage en possède douze qui rentrent pour la plupart
dans la série classique des Ports de mer dont Joseph Yernet devait
s’inspirer au xvme siècle. Mais l’admirable cycle des Quatre Heures
du jour les surpasse de beaucoup par le rythme des lignes et le charme
musical du coloris. Cette « suite », exécutée de 1667 à 1672, passa par
la galerie de Cassel et la Malmaison avant de devenir Lune des plus
nobles parures de l’Ermitage. Ce poème de la journée glorifie en
quatre chants le lever de l'aurore, le flamboiement de midi, l’apo-
théose du soleil couchant et la tombée de la nuit1.
Par réaction contre la gravité solennelle de Poussin et de Claude
Lorrain et surtout contre lagrandiloquence pompeuse de Le Brun, le
xvnie siècle revient à un art moins guindé, plus gracieux et plus sen-
suel. L’influence des coloristes flamands et, en particulier, de Rubens
vient faire contrepoids à l’académisme des Bolonais. C’est ce qu’on
peut très bien discerner dans les œuvres de jeunesse de Watteau
conservées à l’Ermitage : le Savoyard à la marmotte2 et trois petites
scènes de la vie militaire : les Fatigues de la guerre, les Délassements
de guerre et le Camp volant, peintes par l’artiste pendant son séjour
à Valenciennes. Si la Proposition embarrassante et la Femme polo-
naise sont loin de représenter aussi complètement le « peintre des
Fêtes galantes » que les chefs-d’œuvre de Berlin et de Potsdam, l’Er-
mitage possède en revanche un très bon exemplaire des types de la
Comédie italienne dans le Mezzetin vêtu de rose qui joue mélancoli-
quement de la guitare dans un jardin.
Pater et Lancret, les « singes de Watteau », ont vulgarisé et
parfois même encanaillé les poétiques imaginations de ce génie
voluptueux et amer; mais ils évoquent à merveille la grâce sensuelle
du xvme siècle. Rien de plus frais que Y Eté de Lancret, simple pré- 1 2
1. La galerie Youssoupov possède cinq paysages de Claude Lorrain qui riva-
lisent de beauté grave avec ceux de l’Ermitage, le Coucher du soleil dans un port
de mer, le Malin de Rome et le Soir de Rome, et surtout l'Enlèvement d’Europe
(1652) et le Combat sur un pont (1655).
2. Une étude à la sanguine du Savoyard se trouve à Paris, au Petit-Palais,
dans la collection Dutuit.