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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
bellissement. Il semble qu’un phénomène de suractivité comparable à celui
qui exalta la Renaissance italienne ait, à cette époque, décuplé la vitalité de
la bourgeoisie alsacienne.
La guerre de Trente ans y coupa court. Jusqu’alors victorieuse, Obernai
connut la défaite, essuya revers sur revers. Trois fois assiégée en quatorze
ans (1622, i632, 1636), trois fois elle capitula. Le traité de Westphalie lui
laissa pourtant quelque indépendance ; mais, inquiet de ses velléités de résis-
tance, de la sourde hostilité qu’elle lui manifestait à chaque occasion,
Louis XIV, en 1673, la fit démanteler ; six ans plus tard, vaincue et résignée,
avouant sa déchéance, acceptant la servitude, elle jura fidélité au vainqueur.
Dès lors, c’en fut fait. La carrière triomphale d’Obernai était close.
Dépossédée de sa liberté et de sa puissance, fourbue et matée, elle subit
désormais le sort des bourgades d'Alsace, endura patiemment, passivement,
toutes les vicissitudes. Epargnée par les invasions qui ne la molestèrent point,
méprisant l’industrie qui la dédaigna, elle s’assoupit dans la paix fructueuse
des travaux champêtres. Elle y trouva le calme et la sécurité, sinon l’oubli ;
car elle conserve jalousement l’âme orgueilleuse que lui forgèrent les siècles.
Les guides recommandent aux touristes visitant Obernai l’ascension de la
Kappelturm, et, par exception, ils ont raison. Du haut de cette tour de
72 mètres on jouit d’un coup d'œil rare et inoubliable. Vue d’ensemble,
ceinte de ses remparts, la ville apparaît telle qu'une cité de naguère, telle
qu une vision du passé. Moutonnante et tumultueuse, une vague d’ardoise et
de bois jaillit, compacte, confuse, dentelée de toits à pignons aigus, à pentes
raides, qui. pressés, comprimés, chevauchant l’un par-dessus l’autre, déferlent
au pied du beffroi. Au milieu de ce fourmillement échevelé, de cet enchevê-
trement de charpentes, de poutres, de chevrons, de faîtages, on distingue
avec une netteté d’eau-forte, émergeant du fouillis environnant, des tours,
des clochetons, des campaniles. Rien de moderne n’apparaît, ne se remarque.
On a l’impression de dominer le passé, d’être reporté à cinq cents ans en
arrière, d’être un pèlerin contemplant, au cours de son exode, une ville
médiévale.
En un raccourci impressionnant. Obernai se résume et se révèle, se montre
telle qu’elle est réellement ; une reine déchue qui se souvient, perpétue au
milieu des débris de son ancienne opulence les traditions de jadis et s’entoure,
à cause de leur immuable fidélité, d’une cour de cigognes.
CLAUDE CHAMPION
Le Gérant: Ch. Petit.
CHARTRES.
IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.
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bellissement. Il semble qu’un phénomène de suractivité comparable à celui
qui exalta la Renaissance italienne ait, à cette époque, décuplé la vitalité de
la bourgeoisie alsacienne.
La guerre de Trente ans y coupa court. Jusqu’alors victorieuse, Obernai
connut la défaite, essuya revers sur revers. Trois fois assiégée en quatorze
ans (1622, i632, 1636), trois fois elle capitula. Le traité de Westphalie lui
laissa pourtant quelque indépendance ; mais, inquiet de ses velléités de résis-
tance, de la sourde hostilité qu’elle lui manifestait à chaque occasion,
Louis XIV, en 1673, la fit démanteler ; six ans plus tard, vaincue et résignée,
avouant sa déchéance, acceptant la servitude, elle jura fidélité au vainqueur.
Dès lors, c’en fut fait. La carrière triomphale d’Obernai était close.
Dépossédée de sa liberté et de sa puissance, fourbue et matée, elle subit
désormais le sort des bourgades d'Alsace, endura patiemment, passivement,
toutes les vicissitudes. Epargnée par les invasions qui ne la molestèrent point,
méprisant l’industrie qui la dédaigna, elle s’assoupit dans la paix fructueuse
des travaux champêtres. Elle y trouva le calme et la sécurité, sinon l’oubli ;
car elle conserve jalousement l’âme orgueilleuse que lui forgèrent les siècles.
Les guides recommandent aux touristes visitant Obernai l’ascension de la
Kappelturm, et, par exception, ils ont raison. Du haut de cette tour de
72 mètres on jouit d’un coup d'œil rare et inoubliable. Vue d’ensemble,
ceinte de ses remparts, la ville apparaît telle qu'une cité de naguère, telle
qu une vision du passé. Moutonnante et tumultueuse, une vague d’ardoise et
de bois jaillit, compacte, confuse, dentelée de toits à pignons aigus, à pentes
raides, qui. pressés, comprimés, chevauchant l’un par-dessus l’autre, déferlent
au pied du beffroi. Au milieu de ce fourmillement échevelé, de cet enchevê-
trement de charpentes, de poutres, de chevrons, de faîtages, on distingue
avec une netteté d’eau-forte, émergeant du fouillis environnant, des tours,
des clochetons, des campaniles. Rien de moderne n’apparaît, ne se remarque.
On a l’impression de dominer le passé, d’être reporté à cinq cents ans en
arrière, d’être un pèlerin contemplant, au cours de son exode, une ville
médiévale.
En un raccourci impressionnant. Obernai se résume et se révèle, se montre
telle qu’elle est réellement ; une reine déchue qui se souvient, perpétue au
milieu des débris de son ancienne opulence les traditions de jadis et s’entoure,
à cause de leur immuable fidélité, d’une cour de cigognes.
CLAUDE CHAMPION
Le Gérant: Ch. Petit.
CHARTRES.
IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.