Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (5. Pér. 2.1920)

RAPHAËL ET CASTIGLIONE

(A L’OCCASION DU QUATRIÈME CENTENAIRE DE LA MORT DE RAPHAËL)

i fin d’une chaude journée de septembre, il
y a quelque quatre cents ans, l’ambassadeur
de Ferrare à Rome, un certain Paolucci,
passait à cheval, par le Borgo Nuovo, devant
la maison de Raphaël. Voyant la porte
ouverte, il entra et se disposait à mettre pied
à terre et à pénétrer chez le maître, lorsqu'un
serviteur l’arrêta : le maître n’était pas visi-
ble, étant dans son atelier, occupé à faire le
portrait du seigneur comte Balthazar Casti-
glione, ambassadeur du duc d’Urbino. De
quel portrait s’agissait-il, au juste, et n’était-ce pas là une défaite P Nous ne
savons... L’anecdote montre seulement que le prétexte était alors considéré
comme plausible. Bien qu’il l’eût peint déjà plusieurs fois, Raphaël semblait
désigné, par toutes les circonstances de sa vie et comme par un décret spécial
et nominatif de la Providence, pour refaire indéfiniment le portrait de
Castiglione.

Ils se connaissaient de tout temps. Le diplomate, Mantouan de naissance,
était un familier de la cour d’Urbino, qu’il devait immortaliser dans le
Cortegiano. L’artiste était fils du peintre ordinaire de cette même cour.
Ils s’y étaient rencontrés, en son moment le plus brillant, lorsque, le cau-
chemar borgiesque étant dissipé, et le légitime souverain d’Urbino, le
duc Guidolaldo de Montefeltro, revenu dans ses Etats avec sa femme
Elisabetta Gonzague, la vie ardente et raffinée de ces princes humanistes