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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
avait repris son cours, précipité par cette fringale de plaisirs qui suit une
épreuve où l’on a cru sombrer à jamais. Gastiglione illustre et pourvu des
plus hauts emplois, Raphaël âgé seulement d’une vingtaine d’années, mais
déjà marqué au front des signes annonciateurs du génie, auteur du Songe
du Chevalier et du petit Saint Michel, sur le point de partir pour Florence, afin
d y étudier les œuvres de Michel-Ange et de Léonard de Vinci.
Tout de suite, ils s’étaient reconnus esprits de la même famille, sociables
et hypersensibles, curieux de toutes choses et universellement bienveillants,
épris de culture antique, de beauté vivante, de mesure, de santé, de grâce,
d’ordre, de proportion, cherchant l'harmonie entre tous les êtres ensemble
et l’équilibre des facultés dans chaque être séparément, détestant l’affectation,
rêvant d’une humanité supérieure et d’une raisonnable divinité. Ils ne s’étaient
plus quittés, — au moins de pensée, les circonstances les ayant séparés
assez souvent —■ et Gastiglione s’était dévoué à la gloire de son jeune ami.
Envoyé au roi d’Angleterre Henry ATI par le duc d’Urbino, pour recevoir,
en son nom, l'ordre de la Jarretière, il n’avait rien trouvé de mieux à lui
porter, en présent, qu’un tableau de Raphaël: le Saint Georges conservé
aujourd’hui au Musée de l’Ermitage.
Enfin, se retrouvant tous les deux à Rome, — où tous les esprits distin-
gués de l’Italie cherchaient à venir et demeuraient le plus longtemps pos-
sible quand ils y étaient venus, — leur amitié avait reçu, d’une exaltation
commune, en face des chefs-d’œuvre et des vastes horizons, le sceau qui
marque, là-bas, les âmes d une ineffaçable empreinte. Raphaël peignant les
Stances du Vatican, Gastiglione lui disait ce qu’avaient été les grands philo-
sophes de l’antiquité : de là naissait Y Ecole d’Athènes, où le peintre figurait
l’humaniste, à peine stylisé, sous le nom de Zoroastre, dans le groupe où
il se portraiturait lui-même. Ils couraient ensemble la campagne et s’enfon-
caient dans les ruines de la ville même, cherchant à en ressusciter, par la
pensée, l’ordonnance et la majesté. Castiglione, enthousiaste des restes de
beauté et navré de les voir mis en pièces pour des constructions, nouvelles,
écrivait son sonnet fameux imité par notre du Bellay :
Sacrez costeaux, et vous sainctes ruines,
Qui le seul nom de Rome retenez,
Las, peu à peu cendre vous devenez
Fable du peuple et publiques rapines !
Raphaël dessinait ce qu’on en pouvait voir encore et, tous deux, avec la
même passion, l’un scrutant Vitruve, T autre sondant les fondations, ils
entreprenaient ce fameux plan de la Rome antique, souhaité par Léon X et
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avait repris son cours, précipité par cette fringale de plaisirs qui suit une
épreuve où l’on a cru sombrer à jamais. Gastiglione illustre et pourvu des
plus hauts emplois, Raphaël âgé seulement d’une vingtaine d’années, mais
déjà marqué au front des signes annonciateurs du génie, auteur du Songe
du Chevalier et du petit Saint Michel, sur le point de partir pour Florence, afin
d y étudier les œuvres de Michel-Ange et de Léonard de Vinci.
Tout de suite, ils s’étaient reconnus esprits de la même famille, sociables
et hypersensibles, curieux de toutes choses et universellement bienveillants,
épris de culture antique, de beauté vivante, de mesure, de santé, de grâce,
d’ordre, de proportion, cherchant l'harmonie entre tous les êtres ensemble
et l’équilibre des facultés dans chaque être séparément, détestant l’affectation,
rêvant d’une humanité supérieure et d’une raisonnable divinité. Ils ne s’étaient
plus quittés, — au moins de pensée, les circonstances les ayant séparés
assez souvent —■ et Gastiglione s’était dévoué à la gloire de son jeune ami.
Envoyé au roi d’Angleterre Henry ATI par le duc d’Urbino, pour recevoir,
en son nom, l'ordre de la Jarretière, il n’avait rien trouvé de mieux à lui
porter, en présent, qu’un tableau de Raphaël: le Saint Georges conservé
aujourd’hui au Musée de l’Ermitage.
Enfin, se retrouvant tous les deux à Rome, — où tous les esprits distin-
gués de l’Italie cherchaient à venir et demeuraient le plus longtemps pos-
sible quand ils y étaient venus, — leur amitié avait reçu, d’une exaltation
commune, en face des chefs-d’œuvre et des vastes horizons, le sceau qui
marque, là-bas, les âmes d une ineffaçable empreinte. Raphaël peignant les
Stances du Vatican, Gastiglione lui disait ce qu’avaient été les grands philo-
sophes de l’antiquité : de là naissait Y Ecole d’Athènes, où le peintre figurait
l’humaniste, à peine stylisé, sous le nom de Zoroastre, dans le groupe où
il se portraiturait lui-même. Ils couraient ensemble la campagne et s’enfon-
caient dans les ruines de la ville même, cherchant à en ressusciter, par la
pensée, l’ordonnance et la majesté. Castiglione, enthousiaste des restes de
beauté et navré de les voir mis en pièces pour des constructions, nouvelles,
écrivait son sonnet fameux imité par notre du Bellay :
Sacrez costeaux, et vous sainctes ruines,
Qui le seul nom de Rome retenez,
Las, peu à peu cendre vous devenez
Fable du peuple et publiques rapines !
Raphaël dessinait ce qu’on en pouvait voir encore et, tous deux, avec la
même passion, l’un scrutant Vitruve, T autre sondant les fondations, ils
entreprenaient ce fameux plan de la Rome antique, souhaité par Léon X et