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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ciscanum historicum en juillet-octobre 1918 (Christophe Colomb était affilié
au tiers-ordre de Saint-François), puis tirée à part : Aperçus nouveaux sur
l’iconographie de Cristophe Colomb. Il ne s’agit de rien de moins que d’un
portrait du navigateur génois par Titien, découvert depuis peu, et qui se
trouve à Rome, dans la collection Sherman. C’est ce portrait, resté encore à
peu près inconnu, que je voudrais étudier plus spécialement.
*
* *
L attribution au grand maître vénitien ne peut faire de doute, ainsi que l’a
également reconnu M. A rduino Colasanti, présentement directeur des Beaux-
Arts et des Antiquités en Italie. Il y a d'abord un indice très spécial qui doit
nous orienter. Le portrait est peint sur une toile bise à rayures noires et à
trame diagonale fortement marquée. C’est en vérité, par sa contexture, une
toile à voile. Il ne faut pourtant pas voir là une recherche d'évocation sym-
bolique, comme serait tenté de le faire M. Beaufreton, et y reconnaître une
allusion à la caravelle cinglant vers le Nouveau Monde. Ce serait une vision
trop fantaisiste. La particularité du tissu a pour nous un bien plus grand
intérêt. Titien a été, en effet, un des premiers à employer cette toile vénitienne
et le grain caractéristique s’en révèle, dans plusieurs de ses tableaux, à travers
les couches de pâte auxquelles il communique une vibration spéciale. Bien
d’autres peintres ont, depuis Titien, recherché les toiles à gros grain pour
faire de même « jouer la couleur ». A Venise, Tintoret a, plus abondam-
ment encore que Titien, usé de cette toile à rayures diagonales. Après ces
deux maîtres, l’emploi s’est généralisé encore : on la trouve parfois chez
Véronèse, très fréquemment chez Jacopo Bassano et Palma le Jeune; on la
rencontre encore jusqu'au xvinc siècle. A leur tour, les peintres étrangers
qui ont eu des contacts avec Venise ont, eux aussi, recherché cette toile.
Mais c’est surtout la technique même du tableau qui nous oblige à con-
clure. Le peintre a dégagé la tête du personnage sur le fond sombre et uni,
et la ligure arrive à se modeler dans l’éclatante lumière. C’est la morbidezza
que, d’après Vasari, Giorgione chercha à introduire dans la peinture véni-
tienne sous l’influence de l’école florentine et surtout de Léonard, et que
Titien s’appropria aussitôt. La pâte émaillée et lumineuse du visage est essen-
tiellement caractéristique. Ce n’est pas seulement le contraste avec les
ombres qui la modèlent et le fond qui l’entoure qui lui donne son rayonne-
ment : c’est surtout sa composition même. Cette pâte mélangée est tout à fait
propre à Titien, ou, pour mieux dire, c’est lui qui en a donné la recette aux
autres maîtres vénitiens, et l’on comprend ce qu’entendait Tinloretto quand il
recherchait « la couleur de Titien ». Le grand coloriste n’use pas ici de couches
superposées, mais de juxtapositions : il fait un amalgame où les molécules.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ciscanum historicum en juillet-octobre 1918 (Christophe Colomb était affilié
au tiers-ordre de Saint-François), puis tirée à part : Aperçus nouveaux sur
l’iconographie de Cristophe Colomb. Il ne s’agit de rien de moins que d’un
portrait du navigateur génois par Titien, découvert depuis peu, et qui se
trouve à Rome, dans la collection Sherman. C’est ce portrait, resté encore à
peu près inconnu, que je voudrais étudier plus spécialement.
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L attribution au grand maître vénitien ne peut faire de doute, ainsi que l’a
également reconnu M. A rduino Colasanti, présentement directeur des Beaux-
Arts et des Antiquités en Italie. Il y a d'abord un indice très spécial qui doit
nous orienter. Le portrait est peint sur une toile bise à rayures noires et à
trame diagonale fortement marquée. C’est en vérité, par sa contexture, une
toile à voile. Il ne faut pourtant pas voir là une recherche d'évocation sym-
bolique, comme serait tenté de le faire M. Beaufreton, et y reconnaître une
allusion à la caravelle cinglant vers le Nouveau Monde. Ce serait une vision
trop fantaisiste. La particularité du tissu a pour nous un bien plus grand
intérêt. Titien a été, en effet, un des premiers à employer cette toile vénitienne
et le grain caractéristique s’en révèle, dans plusieurs de ses tableaux, à travers
les couches de pâte auxquelles il communique une vibration spéciale. Bien
d’autres peintres ont, depuis Titien, recherché les toiles à gros grain pour
faire de même « jouer la couleur ». A Venise, Tintoret a, plus abondam-
ment encore que Titien, usé de cette toile à rayures diagonales. Après ces
deux maîtres, l’emploi s’est généralisé encore : on la trouve parfois chez
Véronèse, très fréquemment chez Jacopo Bassano et Palma le Jeune; on la
rencontre encore jusqu'au xvinc siècle. A leur tour, les peintres étrangers
qui ont eu des contacts avec Venise ont, eux aussi, recherché cette toile.
Mais c’est surtout la technique même du tableau qui nous oblige à con-
clure. Le peintre a dégagé la tête du personnage sur le fond sombre et uni,
et la ligure arrive à se modeler dans l’éclatante lumière. C’est la morbidezza
que, d’après Vasari, Giorgione chercha à introduire dans la peinture véni-
tienne sous l’influence de l’école florentine et surtout de Léonard, et que
Titien s’appropria aussitôt. La pâte émaillée et lumineuse du visage est essen-
tiellement caractéristique. Ce n’est pas seulement le contraste avec les
ombres qui la modèlent et le fond qui l’entoure qui lui donne son rayonne-
ment : c’est surtout sa composition même. Cette pâte mélangée est tout à fait
propre à Titien, ou, pour mieux dire, c’est lui qui en a donné la recette aux
autres maîtres vénitiens, et l’on comprend ce qu’entendait Tinloretto quand il
recherchait « la couleur de Titien ». Le grand coloriste n’use pas ici de couches
superposées, mais de juxtapositions : il fait un amalgame où les molécules.