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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
une telle confiance dans le succès, qu’ils ne surent pas se limiter: entre eux
et la population des malentendus naquirent, si bien que, lors de la dispersion
de l’ordre sous le ministère Clioiseul, Magistrat, bourgeoisie et peuple
applaudirent avec un égal enthousiasme à leur départ.
Mais l’influence qu’ils s’étaient acquise dans le domaine artistique demeura.
La fièvre de construction qui est une de leurs caractéristiques les plus
frappantes avait contaminé la bourgeoisie, dont nombre d’hôtels furent
modifiés ou entièrement rebâtis dans le courant du xvme siècle. « On peut
dire que le quart au moins des demeures particulières fut renouvelé durant
cette période'. » Cette frénésie architecturale qui multiplia dans la ville les
façades Louis XY et Louis XVI, les encadrements de portes et de fenêtres à
coquilles, les chapiteaux antiques, ne prit fin qu’à la Révolution, dont les diverses
phases se déroulèrent à Sélestat dans un calme relatif, au milieu de l’indif-
férence, voire même de 1"hostilité quasi générale. La population manifesta,
en effet, peu d’engouement pour les idées nouvelles. Pendant la Terreur,
deux têtes seulement tombèrent; encore cette double exécution fut-elle le
sinistre épilogue d’une visite de Saint-Just et de Lebas, désireux de « républi-
caniser » une ville suspecte de tiédeur révolutionnaire. Malgré cette appa-
rente tranquillité, Sélestatéprouva, durant cette période, des vicissitudes qui
modifièrent profondément sa physionomie. Nobles et bourgeois émigrèrent;
chassés par la proscription, les ordres religieux se dispersèrent. Les églises
et les couvents, décrétés propriété nationale, furent transformés en magasins,
en poudrières, en hôpitaux. Le mobilier des monastères, en grande partie
dilapidé et détruit, disparut. Quand 1 Empire rétablit l’ordre en Alsace, la
ville, appauvrie et dépeuplée, n’était plus qu’une bourgade somnolente et
lasse. Le siège de x 814, qu'aggrava le typhus, et celui de 1815 lui donnèrent
le coup de grâce; enfin, suprême sanction d’une déchéance définitive, sa
couronne de remparts, qui l’auréolait d'un nimbe glorieux, fut rasée, en 1874,
par ordre de l’autorité allemande. Il n’en reste aujourd'hui, dominant la
plaine, que d’inoffensifs pans de murs aménagés en terrasse.
Débarrassé de son corselet de pierre, Sélestat s’est élargie. Des maisons
modernes, des promenades, des places, toute une ceinture de boule-
vards neufs, déshonorée par un château d’eau germano-gothique qui serait
cocasse s’il n’était attristant, enserrent les vieux quartiers, le centre de
la ville, le « cœur de la gemme ». Lui-même a souffert. De l’ensemble
unique que formaient au xvme siècle les bâtiments conventuels, les cloîtres,
les chapelles, seuls subsistent des fragments épars, des îlots morcelés
qu’un motif utilitaire a sauvés de la destruction. Le monastère de Sylo,
. Alexandre Dorlan, ouv. cité.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
une telle confiance dans le succès, qu’ils ne surent pas se limiter: entre eux
et la population des malentendus naquirent, si bien que, lors de la dispersion
de l’ordre sous le ministère Clioiseul, Magistrat, bourgeoisie et peuple
applaudirent avec un égal enthousiasme à leur départ.
Mais l’influence qu’ils s’étaient acquise dans le domaine artistique demeura.
La fièvre de construction qui est une de leurs caractéristiques les plus
frappantes avait contaminé la bourgeoisie, dont nombre d’hôtels furent
modifiés ou entièrement rebâtis dans le courant du xvme siècle. « On peut
dire que le quart au moins des demeures particulières fut renouvelé durant
cette période'. » Cette frénésie architecturale qui multiplia dans la ville les
façades Louis XY et Louis XVI, les encadrements de portes et de fenêtres à
coquilles, les chapiteaux antiques, ne prit fin qu’à la Révolution, dont les diverses
phases se déroulèrent à Sélestat dans un calme relatif, au milieu de l’indif-
férence, voire même de 1"hostilité quasi générale. La population manifesta,
en effet, peu d’engouement pour les idées nouvelles. Pendant la Terreur,
deux têtes seulement tombèrent; encore cette double exécution fut-elle le
sinistre épilogue d’une visite de Saint-Just et de Lebas, désireux de « républi-
caniser » une ville suspecte de tiédeur révolutionnaire. Malgré cette appa-
rente tranquillité, Sélestatéprouva, durant cette période, des vicissitudes qui
modifièrent profondément sa physionomie. Nobles et bourgeois émigrèrent;
chassés par la proscription, les ordres religieux se dispersèrent. Les églises
et les couvents, décrétés propriété nationale, furent transformés en magasins,
en poudrières, en hôpitaux. Le mobilier des monastères, en grande partie
dilapidé et détruit, disparut. Quand 1 Empire rétablit l’ordre en Alsace, la
ville, appauvrie et dépeuplée, n’était plus qu’une bourgade somnolente et
lasse. Le siège de x 814, qu'aggrava le typhus, et celui de 1815 lui donnèrent
le coup de grâce; enfin, suprême sanction d’une déchéance définitive, sa
couronne de remparts, qui l’auréolait d'un nimbe glorieux, fut rasée, en 1874,
par ordre de l’autorité allemande. Il n’en reste aujourd'hui, dominant la
plaine, que d’inoffensifs pans de murs aménagés en terrasse.
Débarrassé de son corselet de pierre, Sélestat s’est élargie. Des maisons
modernes, des promenades, des places, toute une ceinture de boule-
vards neufs, déshonorée par un château d’eau germano-gothique qui serait
cocasse s’il n’était attristant, enserrent les vieux quartiers, le centre de
la ville, le « cœur de la gemme ». Lui-même a souffert. De l’ensemble
unique que formaient au xvme siècle les bâtiments conventuels, les cloîtres,
les chapelles, seuls subsistent des fragments épars, des îlots morcelés
qu’un motif utilitaire a sauvés de la destruction. Le monastère de Sylo,
. Alexandre Dorlan, ouv. cité.