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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
de franchir un échelon dans la hiérarchie des genres ; à des auditeurs mon-
dains et bénévoles il veut substituer le grave public qui fréquente les séances
académiques; il traduira donc la Jérusalem délivrée,du Tasse, et consulte
Thomas sur son projet et sur les difficultés d’exécution auxquelles il se
heurte. 11 lit des extraits de sa traduction aux réceptions de l’abbé Batteux
(1761), de l’abbé Voisenon (1763), et aux fêtes académiques de la Saint-Louis
en 1763 et 176g.
Dans sa Poétique française, Marmontel s’écrie avec enthousiasme : « Nul
homme de lettres ne fut plus exercé dans l’étude des poètes italiens, n’en
sentit mieux les beautés et ne sut mieux les rendre ». Bachaumont, qui, dans
ses Mémoires secrets, ne cherche qu’à dénigrer, proclame « le crayon du
traducteur sec et sans force, trop au-dessous de son original » ; il est obligé
cependant de convenir : « M. Watelet tourne bien un vers, il est correct,
harmonieux », et c’est bien déjà quelque chose, que cet aveu sous une plume
hostile.
IV
L’hôtel de la rue Chariot, malgré sa suprême élégance, tenait beaucoup
moins au cœur de Watelet, depuis qu’en 1758, au hasard d’une promenade
« sur les bords fleuris qu'arrose la Seine », il avait découvert, sur la rive
gauche, au pied du village de Bezons, un petit coin délicieusement cham-
pêtre, avec un vieux moulin. Il acquit ce terrain, l’aménagea avec un goût
exquis en « solitude », l’illustrant de devises sur la sagesse et la simplicité.
On pouvait lire sous une allée de peupliers :
Antiques peupliers, l’honneur de nos bocages,
Ne portez point envie aux cèdres orgueilleux.
Leur sort est d’embellir les lambris des faux sages ;
Le vôtre est d’ombrager l’asile des heureux.
Sous un quinconce de vieux saules dont les branches noueuses retombaient
jusque dans la Seine, était inscrit ce quatrain :
Consacrer dans l’obscurité
Ses loisirs à l’étude, à l’amitié sa vie,
Voilà des jours dignes d’envie.
Etre chéri vaut mieux qu’être vanté.
Dès lors le « Moulin joli » fut célèbre en Europe. Chanté par les poètes,
fixé sur la toile par les artistes, le Moulin joli a été l’objet de mille descrip-
tions enthousiastes, même chez nos auteurs contemporains, entre autres le
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
de franchir un échelon dans la hiérarchie des genres ; à des auditeurs mon-
dains et bénévoles il veut substituer le grave public qui fréquente les séances
académiques; il traduira donc la Jérusalem délivrée,du Tasse, et consulte
Thomas sur son projet et sur les difficultés d’exécution auxquelles il se
heurte. 11 lit des extraits de sa traduction aux réceptions de l’abbé Batteux
(1761), de l’abbé Voisenon (1763), et aux fêtes académiques de la Saint-Louis
en 1763 et 176g.
Dans sa Poétique française, Marmontel s’écrie avec enthousiasme : « Nul
homme de lettres ne fut plus exercé dans l’étude des poètes italiens, n’en
sentit mieux les beautés et ne sut mieux les rendre ». Bachaumont, qui, dans
ses Mémoires secrets, ne cherche qu’à dénigrer, proclame « le crayon du
traducteur sec et sans force, trop au-dessous de son original » ; il est obligé
cependant de convenir : « M. Watelet tourne bien un vers, il est correct,
harmonieux », et c’est bien déjà quelque chose, que cet aveu sous une plume
hostile.
IV
L’hôtel de la rue Chariot, malgré sa suprême élégance, tenait beaucoup
moins au cœur de Watelet, depuis qu’en 1758, au hasard d’une promenade
« sur les bords fleuris qu'arrose la Seine », il avait découvert, sur la rive
gauche, au pied du village de Bezons, un petit coin délicieusement cham-
pêtre, avec un vieux moulin. Il acquit ce terrain, l’aménagea avec un goût
exquis en « solitude », l’illustrant de devises sur la sagesse et la simplicité.
On pouvait lire sous une allée de peupliers :
Antiques peupliers, l’honneur de nos bocages,
Ne portez point envie aux cèdres orgueilleux.
Leur sort est d’embellir les lambris des faux sages ;
Le vôtre est d’ombrager l’asile des heureux.
Sous un quinconce de vieux saules dont les branches noueuses retombaient
jusque dans la Seine, était inscrit ce quatrain :
Consacrer dans l’obscurité
Ses loisirs à l’étude, à l’amitié sa vie,
Voilà des jours dignes d’envie.
Etre chéri vaut mieux qu’être vanté.
Dès lors le « Moulin joli » fut célèbre en Europe. Chanté par les poètes,
fixé sur la toile par les artistes, le Moulin joli a été l’objet de mille descrip-
tions enthousiastes, même chez nos auteurs contemporains, entre autres le