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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
et où il n’y a pas un trait, pas une hachure, qui ne révèle une intention, pas
une ligne qui n’indique un mouvement, une contraction, un fléchissement
dans les chairs vivantes ou les souples draperies, qui ne précise la disposi-
tion des volumes dans l’espace. Et pourtant rien ne semble avoir été copié
d’après nature, à la flamande. C’est une intelligence qui a créé toutes ces
apparences. Elle a mis tant de clarté dans les moindres choses, il y a tant
de précision dans l'articulation des moindres syllabes, que tout autre débit
paraît ensuite mol et pâteux. Un dessin aussi tranchant peut fatiguer notre
œil, il nous astreint à une analyse trop attentive ; nous sommes bien obligés de
reconnaître les intentions d’un art aussi explicite. Mantegna ne nous laisse
nul repos ; c’est un maître impérieux qui nous occupe tout entier. Sa
jouissante volonté s’installe en nous et nous force à le suivre dans son travail
méthodique et tendu. Jamais on n’a donné tant d’éléments à l’analyse
contemplative ; jamais on n’a mêlé aussi étroitement la vue et la pensée.
On sait que les trois compartiments de ce retable sont en France: le
Jardin des Oliviers et la Résurrection au musée de Tours ; le Calvaire, le
plus beau, au Louvre. Ce petit tableau dur et plein résume les grandes
préoccupations de la plastique italienne du xve siècle ; l’anatomie, la perspec-
tive, l’archéologie, c’est-à-dire les problèmes de l’espace, de la vie, de l’his-
toire. Tout cela condensé dans un petit cadre où des figures grêles et comme
desséchées se meuvent sur du roc et fuient en profondeur.
II
Vasari énumère les peintures que Mantegna aurait exécutées durant son
séjour à Vérone. De toutes celles qu’il nous cite, le panneau de San Zeno
est le seul qui nous soit parvenu. D’autres tableaux qu’il nomme n’ont pu
être identifiés; les fresques, je l’ai dit, ont été effacées. Mais, en revanche,
des œuvres de la période véronaise de Mantegna ont peut-être subsisté, que
Vasari ne cite pas. Ainsi le Musée de Naples conserve une Sainte Euphémie
qui porte une date: 1458. C’est bien le temps du panneau de San Zeno ;
sainte Euphémie est bien aussi une sainte de Vérone. Peut-être le tableau
a-t-il été exécuté pour l’église placée sous son invocation. Mais c’est à Santa
Anastasia que se montre aux innombrables visiteurs, qui négligent pourtant
de les regarder1, un ensemble de fresques fort bien conservées où il nous faut
reconnaître Mantegna. Historiens et guides les omettent ; et pourtant cette
église est une des plus riches de Vérone ; et pourtant la chapelle où dorment
i. Seul M. Carlo Cipolla les signale brièvement dans sa savante étude sur S. Anastasia
(L’Arte, 1914, p. 4aa), mais seulement comme « des peintures du xvie siècle ».
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et où il n’y a pas un trait, pas une hachure, qui ne révèle une intention, pas
une ligne qui n’indique un mouvement, une contraction, un fléchissement
dans les chairs vivantes ou les souples draperies, qui ne précise la disposi-
tion des volumes dans l’espace. Et pourtant rien ne semble avoir été copié
d’après nature, à la flamande. C’est une intelligence qui a créé toutes ces
apparences. Elle a mis tant de clarté dans les moindres choses, il y a tant
de précision dans l'articulation des moindres syllabes, que tout autre débit
paraît ensuite mol et pâteux. Un dessin aussi tranchant peut fatiguer notre
œil, il nous astreint à une analyse trop attentive ; nous sommes bien obligés de
reconnaître les intentions d’un art aussi explicite. Mantegna ne nous laisse
nul repos ; c’est un maître impérieux qui nous occupe tout entier. Sa
jouissante volonté s’installe en nous et nous force à le suivre dans son travail
méthodique et tendu. Jamais on n’a donné tant d’éléments à l’analyse
contemplative ; jamais on n’a mêlé aussi étroitement la vue et la pensée.
On sait que les trois compartiments de ce retable sont en France: le
Jardin des Oliviers et la Résurrection au musée de Tours ; le Calvaire, le
plus beau, au Louvre. Ce petit tableau dur et plein résume les grandes
préoccupations de la plastique italienne du xve siècle ; l’anatomie, la perspec-
tive, l’archéologie, c’est-à-dire les problèmes de l’espace, de la vie, de l’his-
toire. Tout cela condensé dans un petit cadre où des figures grêles et comme
desséchées se meuvent sur du roc et fuient en profondeur.
II
Vasari énumère les peintures que Mantegna aurait exécutées durant son
séjour à Vérone. De toutes celles qu’il nous cite, le panneau de San Zeno
est le seul qui nous soit parvenu. D’autres tableaux qu’il nomme n’ont pu
être identifiés; les fresques, je l’ai dit, ont été effacées. Mais, en revanche,
des œuvres de la période véronaise de Mantegna ont peut-être subsisté, que
Vasari ne cite pas. Ainsi le Musée de Naples conserve une Sainte Euphémie
qui porte une date: 1458. C’est bien le temps du panneau de San Zeno ;
sainte Euphémie est bien aussi une sainte de Vérone. Peut-être le tableau
a-t-il été exécuté pour l’église placée sous son invocation. Mais c’est à Santa
Anastasia que se montre aux innombrables visiteurs, qui négligent pourtant
de les regarder1, un ensemble de fresques fort bien conservées où il nous faut
reconnaître Mantegna. Historiens et guides les omettent ; et pourtant cette
église est une des plus riches de Vérone ; et pourtant la chapelle où dorment
i. Seul M. Carlo Cipolla les signale brièvement dans sa savante étude sur S. Anastasia
(L’Arte, 1914, p. 4aa), mais seulement comme « des peintures du xvie siècle ».